S'il faut en croire le Washington Post, le secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta, estime qu'il y a une «forte probabilité qu'Israël [frappe] l'Iran en avril, mai ou juin». Cette déclaration du 2 février s'ajoute à une analyse, publiée à la fin du mois de janvier dans le New York Times Magazine, dans laquelle le journaliste israélien Ronen Bergman conclut qu'Israël attaquera l'Iran en 2012.
Ce n'est pas la première fois que courent de telles rumeurs aux États-Unis. En 2008, peu avant l'arrivée de Barack Obama à la présidence américaine, l'ancien ambassadeur des États-Unis à l'ONU John Bolton a prédit que l'Iran serait frappé par Israël avant le départ de George W. Bush. À l'automne 2010, un article du magazine The Atlantic a prédit une attaque au printemps 2011.
Israël bluffe-t-il? «Il est clair qu'on est devant une opération d'information dirigée par Israël, croit Michel Fortmann, expert des questions d'armement nucléaire à l'Université de Montréal. C'est une façon de mettre publiquement de la pression sur les États-Unis et l'Europe afin que des efforts soient faits pour que les Iraniens abandonnent leur programme d'enrichissement d'uranium.»
Mais la menace est-elle plus sérieuse cette fois-ci? Difficile à dire. Israël a déjà attaqué des installations nucléaires suspectes de la région - en 1981, contre le réacteur irakien d'Osirak, et en 2007, contre un réacteur de conception nord-coréenne en Syrie. Mais une frappe en Iran ne pourrait se limiter à un seul site. Des dizaines d'installations (mines d'extractions, usines d'enrichissement, centrales nucléaires...) devraient être attaquées pour écraser tout le programme nucléaire iranien.
Le temps presse, a déclaré le ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, avant que l'Iran ne stocke suffisamment d'uranium enrichi pour fabriquer une bombe. «Tous ceux qui pensent "plus tard" vont sans doute se rendre compte que "plus tard", ce sera "trop tard".»
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Gagner du temps?
L'arrivée d'Obama au pouvoir en 2008 a suscité beaucoup d'espoir en Iran, a raconté récemment au Monde l'ancien négociateur iranien Seyyed Hossein Moussavian. Mais l'Iran a déchanté. «Le constat, dit M. Moussavian, c'est que M. Obama a commencé en promettant de négocier sans conditions préalables pour mettre fin à 30 ans d'hostilité mutuelle et qu'il a mis en place le système de sanctions internationales le plus dur imposé à l'Iran depuis 1979.» M. Moussavian laisse entendre que l'Allemagne et la France auraient été d'accord pour permettre à l'Iran d'enrichir son uranium. Mais les États-Unis ont toujours opposé un non catégorique. Pour calmer Israël, les États-Unis et l'Europe font valoir qu'il faut laisser le temps aux dernières sanctions de faire effet.
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Les sanctions imposées à l'Iran
Le Conseil de sécurité des Nations unies exige deux choses: une coopération pleine et entière de l'Iran avec l'AIEA et la suspension de toutes ses activités liées à l'enrichissement d'uranium. Quatre séries de sanctions ont, depuis 2006, été imposées à l'Iran à cause du non-respect de ces conditions. Il est, par exemple, interdit de fournir à l'Iran de l'équipement et de l'expertise liés à l'industrie nucléaire. Depuis le début de l'année, un resserrement des sanctions interdit désormais l'importation de pétrole brut en provenance de l'Iran. Résultat: la monnaie iranienne a perdu de la valeur, le pays se retrouve en défaut de paiement et la population a vu le prix des denrées alimentaires exploser. Une colère des Iraniens se retournerait-elle contre ses dirigeants? La chute du régime iranien entraînerait-elle l'émergence d'un nouveau gouvernement disposé à se conformer à l'ONU? Le pari est risqué et le scepticisme règne.
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Le droit à l'uranium
Sa position n'a pas bougé depuis le début des négociations en 2005: l'Iran, signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, veut que l'Occident lui reconnaisse le droit d'enrichir de l'uranium. En échange, Téhéran promet une transparence totale de ses activités nucléaires pour prouver qu'il ne prépare pas de bombe. L'Iran enrichit déjà de l'uranium, malgré la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui veut l'en empêcher. La République devrait conserver la même position aux prochaines négociations du groupe 5+1 (les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies - États-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine et Russie - et l'Allemagne), dit l'ancien négociateur iranien Seyyed Hossein Moussavian, dans une entrevue au Monde. «Si, à l'ouverture, le 5+1 nous dit "oui à l'enrichissement, non à la bombe", Téhéran sera très souple sur les exigences de transparence. Si, après neuf ans d'échecs, les Occidentaux disent: "pas d'enrichissement", discuter sera inutile.» La semaine dernière, la Chine et l'Inde ont offert leurs services de médiation pour ramener l'Iran à la table de négociations.
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La main du Mossad?
Depuis deux ans, quatre scientifiques, qui auraient travaillé dans le domaine nucléaire, ont été tués en Iran. Un autre a été blessé. Les ordinateurs liés au contrôle des centrifuges ont été infectés par un ver informatique. La CIA et le Mossad, services de renseignement américain et israélien, ont été montrés du doigt. Téhéran les a accusés de vouloir saboter son programme. Les États-Unis ont condamné les attaques contre les spécialistes et nié toute implication. Israël a refusé de faire de commentaire.
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Les principaux sites du programme nucléaire
Bouchehr - production d'électricité
Cette centrale nucléaire a été construite sous la supervision de la Russie qui a fourni le combustible. Elle est en fonction depuis l'an dernier.
Natanz - Enrichissement d'uranium
L'unité produit depuis 2007 de l'uranium faiblement enrichi (5%) pour alimenter les réacteurs. La récente inspection des lieux par l'Agence internationale d'énergie atomique (AIEA) a été jugée conforme. Par contre, de l'uranium enrichi à 20% doit y être produit à des fins de recherche, une activité qui serait éventuellement déplacée à Fordou.
Arak - Production d'eau lourde
L'eau lourde (oxyde de deutérium) est utilisée pour améliorer l'efficacité de la fission nucléaire dans certains types de réacteurs. Elle peut aussi servir à produire du plutonium utilisé à des fins médicales... ou dans l'armement nucléaire. L'AIEA a inspecté les travaux de construction d'un réacteur de recherche modéré par eau lourde qui doit entrer en fonction, selon l'Iran, d'ici à la fin de 2013.
Fordou (Qoms) - Enrichissement d'uranium
Révélée par des images satellites en 2009, cette usine souterraine située à 30 km au nord de Qoms a commencé en janvier à produire de l'uranium enrichi à 20%. L'Iran affirme que le combustible servira à des fins de recherche scientifique.
Parchin - base militaire
En 2000, selon des images satellites consultées par l'AIEA, une grande cuve de confinement d'explosifs a été construite dans le complexe militaire. Elle pourrait servir, écrit l'AIEA, à tester des armes nucléaires, même si une inspection en 2005 n'a recensé aucune activité suspecte.
Ispahan - conversion d'uranium et fabrication de combustible
L'usine, qui produit en ce moment de l'uranium enrichi à moins de 5%, comprend une unité (en construction) qui produira aussi de l'uranium enrichi à 20%.
Gchine - extraction d'uranium
Dans les années 70, l'Iran devait importer son uranium de l'Afrique du Sud. Depuis 2010, l'Iran est aussi en mesure d'extraire son propre uranium pour alimenter ses centrales. Une dizaine de mines d'uranium seraient en activité
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Le cycle du combustible nucléaire
Extraction - L'uranium est le minerai de base utilisé par la technologie nucléaire tant civile que militaire. Après son extraction, le minerai est moulu, purifié puis compacté - le résultat est appelé yellowcake et contient environ 60% d'uranium. Les réserves d'uranium en Iran ne sont pas aussi importantes que celles de pétrole, mais sont suffisantes pour ne pas dépendre uniquement des importations.
Conversion - La poudre est ensuite dissoute dans de l'acide nitrique puis est transformée en gaz (hexafluorure d'uranium). En Iran, l'usine d'Ispahan est la principale usine de conversion du pays.
Enrichissement - L'hexafluorure d'uranium (UF6) est enrichi en isotopes 235, notamment à l'aide de centrifugeuses. Un réacteur nucléaire a besoin d'uranium de moins de 5% d'u-235. Pour l'armement nucléaire, l'uranium doit être enrichi à plus de 90% - un cap atteignable lorsqu'on dispose de la technologie permettant d'atteindre un enrichissement de 20%. L'Iran a atteint la capacité de 20% d'enrichissement de l'uranium. Téhéran affirme cependant que cet uranium hautement enrichi sert uniquement à des fins de recherche scientifique.
Utilisation à des fins civiles - L'uranium faiblement enrichi est utilisé comme combustible dans les réacteurs nucléaires, qui produiront de l'électricité. En Iran, la consommation d'énergie a été multipliée par 6 depuis 20 ans. Pour Téhéran, le nucléaire est la seule solution de rechange à ses combustibles fossiles. Même si ses réserves de pétrole et de gaz naturel sont importantes (au rythme actuel, il faudrait 166 ans pour épuiser ses stocks de gaz naturel), l'Iran veut pouvoir diversifier ses sources d'énergie.
Utilisation à des fins militaires - L'uranium hautement enrichi est converti en métal et intégré à un vecteur (missile ou autre). Du plutonium, obtenu notamment grâce aux réacteurs nucléaires civils, peut aussi être utilisé.
Les Iraniens ont planché, il y a 10 ans, sur des détonateurs «à fil à exploser» et d'autres dispositifs destinés à des fins «civiles» et «militaires classiques». L'AIEA reconnaît que ce type de détonateur ne sert pas qu'à des fins nucléaires, mais se dit «préoccupée». En 2002-2003, les ingénieurs iraniens auraient étudié comment charger un missile Shahab-3 avec une bombe nucléaire. L'AIEA juge ces informations crédibles, mais l'Iran les a niées.
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Et la suite?
Au point mort depuis plus d'un an, la reprise des pourparlers entre l'Iran et le groupe P5+1 semble désormais possible. L'Iran a promis jeudi de «nouvelles initiatives» sur les négociations en matière nucléaire. La France a observé que la position iranienne restait «ambiguë», mais qu'elle constituait «le début d'une ouverture». Le négociateur iranien salue une déclaration précédente de la chef de la diplomatie de l'Union européenne, Catherine Ashton, reconnaissant à l'Iran le droit de se doter d'une énergie nucléaire à des fins pacifiques. En attendant une reprise des pourparlers, l'Iran recevra lundi et mardi la visite d'inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
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Chronologie
1953-1959: Début du programme nucléaire civil iranien.
1979: Révolution islamique. Gel du programme nucléaire.
2002: Un dissident iranien révèle l'existence de deux sites nucléaires clandestins: l'installation d'enrichissement d'uranium à Natanz et l'installation à l'eau lourde d'Arak. Washington accuse Téhéran de vouloir mettre au point des «armes de destruction massive». L'Iran donne son accord à l'inspection des nouveaux sites par l'AIEA.
2004: Sous la pression de l'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni, Téhéran annonce la suspension de son programme d'enrichissement de l'uranium.
2005: Deux mois après l'élection du président Mahmoud Ahmadinejad, l'Iran annonce la reprise des activités à son usine de conversion d'uranium d'Ispahan.
2007: En mars, le Conseil de sécurité durcit ses sanctions imposées en décembre devant le refus de l'Iran d'arrêter l'enrichissement d'uranium. À l'automne, le ton monte du côté d'Israël, des États-Unis et de la France. Le ministre français des Affaires étrangères évoque la possibilité d'une guerre avec l'Iran. En décembre, un rapport d'agences de renseignements américaines conclut que l'Iran a arrêté son programme d'armement nucléaire à l'automne 2003.
2009: La découverte d'un nouveau centre d'enrichissement nucléaire provoque un tollé en septembre. En octobre, le New York Times publie les conclusions d'une analyse confidentielle d'experts de l'AIEA qui estiment, avec quelques bémols, que l'Iran a acquis «suffisamment d'information pour être capable de concevoir et produire» une bombe atomique.
2011: Dans un rapport publié en novembre, l'AIEA exprime de «sérieuses inquiétudes» sur une «possible dimension militaire du programme nucléaire».
Sources: Le Monde, Reuters, l'AFP, BBC, New York Times
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