vendredi 2 mars 2012

Elections iraniennes : la cible Ahmadinejad

En août 2009, le Guide suprême, Ali Khamenei, reconduisait M. Ahmadinejad pour cinq ans à la présidence, le félicitant pour un vote "sans précédent".Il y a bien des "déviants" dans les élections législatives qui s'ouvrent ce vendredi 2 mars en Iran. Cette injure vise d'abord le président Mahmoud Ahmadinejad et ses proches, accusés de contester l'autorité du Guide suprême de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei. Les hommes du président renvoient l'insulte à tous vents. Ahmadinejad, l'ancien "fidèle des fidèles", le populiste qui tirait à vue sur l'appareil d'Etat "corrompu" et ne jurait que par le Guide, déclarant être "fondu" en lui, lutte donc aujourd'hui pour sa légitimité, en tentant d'imposer ses candidats au Parlement. Il éviterait ainsi d'être pris en tenaille, pour l'année de mandat qui lui reste à effectuer jusqu'à la présidentielle de juin 2013, entre le Guide et une Assemblée hostile. Dans le cas contraire, il pourrait perdre son poste avant l'heure.

"Si le nouveau Majlis [le parlement iranien] soutient M. Ahmadinejad, le président peut éviter d'être destitué, comme ses rivaux l'en ont menacé régulièrement depuis des mois", affirme Amir Mohebbian, éditorialiste pour le quotidien conservateur Resalaat. "Il peut également espérer peser sur l'élection présidentielle de 2013", à laquelle il n'est pas autorisé à se présenter, ayant atteint la limite légale de deux mandats.
DES SOUTIENS DISCRETS
Ahmadinejad s'oppose ainsi à des conservateurs légitimistes, parmi lesquels on compte des membres du clergé, qui l'accusent d'avoir insulté le Guide, notamment en disparaissant de la vie politique pendant dix jours, en mai, après que le Guide a refusé la démission de son ministre des renseignements, Heydar Moslehi. Ils accusent également les hommes d'Ahmadinejad de célébrer une identité nationale iranienne plutôt qu'islamique – une subtilité qui parcourt l'histoire de la révolution et joue sur l'opposition entre légitimité démocratique et religieuse – et de faire preuve de laxisme sur la question du vêtement islamique féminin. Le conseiller de presse de M. Ahmadinejad, Ali-Akbar Javanfekr, a été condamné à un an de prison en janvier. Son conseiller le plus controversé, Esfandiar Rahim Mashaie, est également sous la menace d'une enquête pour détournements de fonds.

En août 2009, le Guide suprême, Ali Khamenei, reconduisait M. Ahmadinejad pour cinq ans à la présidence, le félicitant pour un vote "sans précédent".AFP
>> Lire : "Ali Khamenei, arbitre de l'affrontement entre ultraconservateurs en Iran"
Pour mieux lutter, M. Ahmadinejad a d'abord choisi de se faire discret. "Ceux du gouvernement, les proches d'Ahmadinejad, ont gardé le silence ces derniers jours, puis ils ont publié tard une liste partisane pour les élections, ce mardi, trois jours avant le vote", expliquait jeudi le journaliste et opposant Abdolreza Tajik, récemment exilé à Paris, dans un chat avec les lecteurs du Monde.fr.
"ACHETER LE VOTE DES PAUVRES"
A cette liste, et à un second groupe ultra-conservateur, placé sous la tutelle de l'ayatollah Mohammad Taghi Mesbah Yazdi, il faut ajouter un nombre inconnu de candidats indépendants dans les petites circonscriptions et les zones rurales, qui peuvent le soutenir plus discrètement. "De nombreux jeunes candidats, qui ne sont pas rattachés à telle ou telle faction, ont profité de M. Ahmadinejad pour accéder au pouvoir," rappelle l'anthropologue Fariba Adelkhah, du CERI-sciences-po. "Ils le soutiendront encore, puisque le retour en force de la classe politique traditionnelle entraînerait aussi leur perte."
De plus, M. Ahmadinejad a pris à son compte un système de versement d'aides financières multiples aux plus pauvres, qui peut lui assurer un certain soutien. Depuis un an, son gouvernement verse à des millions d'Iraniens un pécule de 28 euros par mois, censé compenser les effets de l'inflation – notamment sous l'effet des sanctions internationales –, officiellement évaluée à 21,6 %, mais estimée au double par certains économistes. La somme ne représente pas grand chose à Téhéran, où le coup de la vie est particulièrement cher. Mais lorsqu'on additionne les versements faits à plusieurs membres d'une famille nombreuse, cette aide peut dépasser le salaire mensuel du chef de famille, notait mardi la correspondante du Financial Times, en visite dans la ville de Qarchak, à 35 kilomètres au sud-est de la capitale.
"Les conservateurs traditionnels ont accusé M. Ahmadinejad de donner de l'argent aux pauvres, dans l'espoir que le cash se transformerait en votes," rappelle Amir Mohebbian, "la situation d'Ahmadinejad à Téhéran n'est pas très bonne, mais la participation au vote dans les villages sera importante."

Depuis un an, le gouvernement Ahmadinejad verse à des millions d'Iraniens un pécule de 28 euros par mois, censé compenser les effets de l'inflation, officiellement évaluée à 21 %, mais estimée au double par certains économistes. Depuis un an, le gouvernement Ahmadinejad verse à des millions d'Iraniens un pécule de 28 euros par mois, censé compenser les effets de l'inflation, officiellement évaluée à 21 %, mais estimée au double par certains économistes. AFP/BEHROUZ MEHRI
MENACES DE DESTITUTION

L'analyste prête au président des intentions à la Vladimir Poutine : partir en 2013, faire élire un homme sûr à la présidence, comme l'a été Dmitri Medvedev pour M. Poutine, puis reprendre un nouveau mandat. Pour l'heure, M. Ahmadinejad cherche à se laisser les moyens de gouverner pendant un an. Pour cela, il va lui falloir se justifier sur sa conduite des affaires devant le Parlement, qui l'a convoqué à partir du 4 mars. Les élus en fin de mandat l'accusent notamment d'avoir mal géré la crise économique et l'envolée récente du rial, la monnaie iranienne. Le mois dernier encore, le parlementaire conservateur Motahari, qui multiplie les attaques contre le président, déclarait au journal Mellat-e mâ que "si les réponses [d'Ahmadinejad] n'étaient pas convainquante", le parlement pourrait lancer une procédure de destitution, à la majorité des deux-tiers, qui devrait être acceptée par le Guide suprême.
Ce serait la deuxième de l'histoire de la république islamique, après celle de son premier président, Abolhassan Bani Sadr, en 1981. "Mais Ahmadinejad était la création du Guide. Il se verrait reprocher d'avoir mis sa crédibilité au service de ce mauvais président [notamment en soutenant M. Ahmadinejad après sa élection contestée en 2009]. Mieux vaut pour lui garder un président faible, sous la menace du parlement et rappeler ainsi que telle est la place d'un président élu" et soumis au Guide, analyse l'iranologue Ahmad Salamatian. Le Guide a par ailleurs déjà évoqué la possibilité de faire élire le président par le Parlement, et non plus au suffrage universel. "Ce nouveau parlement pourrait élire le prochain président", rappelle Fariba Adelkhah.
LÉGITIMITÉ DIVINE
La lutte d'Ahmadinejad et de ses partisans a le mérite d'avoir fait remonter le débat institutionnel en Iran : celui de la prééminence du Guide.
Tout cela dépendra des jeux d'alliance complexes qui se formeront au Parlement, après l'élection, et du nom du futur président de l'Assemblée. Ali Larijani, qui tient aujourd'hui le poste et figure parmi les leaders du Front uni des conservateurs, opposé à Ahmadinejad, pourrait se faire plus agressif, note l'universitaire Scott Lucas, qui suit l'actualité iranienne sur le site EA World View. Autre prétendant au poste, Haddad Adel, ancien président de l'Assemblée lié au Guide suprême, s'est montré récemment plus accomodant.

La lutte d'Ahmadinejad et de ses partisans a le mérite d'avoir fait remonter le débat institutionnel en Iran : celui de la prééminence du Guide.Aslon Arfa pour Le Monde
Ces luttes de pouvoirs ne semblent pas pouvoir peser fortement sur le conflit qui oppose l'Iran aux Etats-Unis, à l'Europe et à Israël sur son programme nucléaire. Le Parlement n'a que peu de poids sur la politique étrangère de l'Iran. M. Ahmadinejad est réputé vouloir un accord avec l'Occident, mais une telle décision demanderait beaucoup de force politique à un président très affaibli en fin de mandat.
Mais la lutte d'Ahmadinejad et de ses partisans a le mérite d'avoir fait remonter le débat institutionnel en Iran : celui de la prééminence du Guide sur la légitimité populaire, inscrite dans l'article 5 de la constitution, rappelle Fariba Adelkhah. "C'est très important pour les gens. C'était le débat de Moussavi", candidat réformateur malheureux à l'élection présidentielle de 2009, principal leader du mouvement vert, qui dénonçait une fraude électorale, en résidence surveillée depuis février 2011. "Ahmadinejad sait qu'il a fait tourner une page importante à l'Iran. Il est détestable pour tout le monde, mais il a permis de briser un tabou : la contestation de la prééminence du Guide." L'élection de vendredi et les arrangements à suivre diront s'il doit désormais retourner dans l'ombre.

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