Samedi
19 juin 1965, Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie
indépendante, est renversé par un coup d’Etat organisé et fomenté par
son ministre de la Défense Houari Boumediene, aidé par une poignée de
conjurés dont Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères.
DNA raconte dans cette longue enquête les coulisses du complot qui a
renversé Ahmed Ben Bella, décédé le 11 avril 2012, à l’âge de 95 ans.
Episode4 et fin
2h10 du matin. A l’intérieur de la Villa Joly, Ben Bella dort depuis moins de deux heures. La journée a été si harassante qu’il n’entend pas les bruits de l’extérieur. Sa gouvernante est réveillée par le vacarme. On frappe à la porte. Ben Bella émerge de son sommeil, va ouvrir.
Devant la porte se tiennent trois hommes. Tendu, les mains légèrement tremblantes, le colonel Tahar Zbiri, chef de l’état-major de l’armée, se met en face de son président.
Derrière lui, le commandant Draia, directeur des forces de sécurité et Said Abid, chef de la région militaire d’Alger-centre.
C’est Zbiri qui est officiellement chargé d’exécuter l’ordre que venait de lui donner quelques minutes plutôt, son ministre de la Défense, Houari Boumediene : mettre le président de la république aux arrêts. « Au nom du Conseil de la Révolution, j’ai l’ordre de vous arrêter sous l’inculpation de haute trahison », clame-t-il d’un ton solennel face à un Ben Bella incrédule.
Ben Bella tente de résister
Debout, en pyjama, il n’a pas eu le temps de s’habiller, le président croit d’abord à une plaisanterie de mauvais goût. Mais il déchante vite. Ces trois visiteurs ne sont pas là pour lui organiser une farce. Passé les premiers moments de stupeur, le président tente de faire face au groupe d’officiers félons.
D’un air martial, il menace. « L’acte dont vous portez aujourd’hui la grave responsabilité, vous aurez un jour à en répondre devant l’histoire et le peuple algérien », tonne-t-il. En vain.
Les trois hommes restent de marbre. Zbiri, dans un geste d’énervement, lâche une phrase qui restera célèbre : « Khlass Ya Hmmimed (c’est fini Hmmimed, le surnom d'Ahmed Ben Bella) ».
Résigné, Ben Bella lâche un juron : « Inaadine Echitane ! (Que la diable soit maudit !) », avant de demander à ses ravisseurs de lui laisser du temps pour se rhabiller.
« Inaadine Echitane ! (Que la diable soit maudit !) »
Encadré par les trois officiers, le président monte dans une voiture noire qui l’amène vers une destination inconnue.
Autour de sa villa, une dizaine d’hommes en uniforme, armés jusqu’aux dents, assurent la sécurité des lieux. Avant de disparaître, Ben Bella leur jette un dernier regard. Il se rend compte que ces hommes chargés de veiller sur sa quiétude, il ne les connaît pas. Il ne les jamais vu auparavant.
Ces gardes ont été installé là sur ordre du ministère de la Défense. Quelques heures auparavant, ils avaient été discrètement affectés pour prendre le contrôle de la résidence du chef de l’Etat en remplaçant la petite garde prétorienne, chargée depuis des années, de veiller à la sécurité du Président.
C’était là le premier coup de cette partie d’échec que Boumediene préparait depuis quelques jours.
Au ministère de la Défense
Ben Bella aux arrêts, il reste à jouer la seconde partie. La plus importante : neutraliser ses alliés et convaincre les Algériens et le reste du monde du bien fondé de ce putsch.
2h30 du matin. Siège du ministère de la Défense. Réuni autour d’une poignée de fidèles, Boumediene attend ses hommes aux rapports. Le téléphone sonne. Au bout du fil, le colonel Tahar Zbiri : « Mission accomplie», dit-il.
Autour de Boumediene, on respire. Un immense soulagement se ressent parmi l’assistante. Jean Daniel, envoyé spécial du Nouvel Observateur, raconte dans son reportage (24 juin 1965) qu’à l’annonce de la nouvelle, Boumediene allume une cigarette, lui qui a cessé de fumer depuis une année.
Ben Bella interpellé, il faut procéder à d’autres arrestations. Les militaires, menus de directives fermes, entament les premières rafles. Hadj Ben Ala, ami de Ben Bella et président de l’Assemblée populaire est arrêté chez lui. Les ministres Abderahmane Cherif et le Dr Mohamed Seghir Nekkache, subissent le même sort.
Arrestations et morts
Durant toute la nuit, pas moins de 500 personnes seront interpellées. D’autres, informées à la dernière minute, tentent de se cacher ou de fuir la capitale pour échapper aux rafles des hommes de Boumediene. Au cours de la même nuit, les chars de l’armée prennent d’assaut les sièges de la radio, de la télévision et des journaux.
Aux premières lueurs du matin, tout est fini. Le coup d’Etat contre le président Ahmed Ben Bella est un succès.
Toutefois, Il faudra attendre la fin de la matinée du samedi 19 juin pour que la radio annonce la nouvelle. Contrairement à ses prévisions et à ses instructions, le coup d’Etat ne se fera pas sans effusion de sang. Pendant plusieurs semaines, des milliers d’Algériens manifestent contre le renversement du président.
Le manchot à Annaba
La police effectuera plusieurs arrestations et l’armée n’hésitera pas à tirer sur la foule dans plusieurs villes du pays. C’est le cas notamment de Annaba, dans l’Est d’Algérie, ville qui se souviendra longtemps de ce haut gradé de l’armée, manchot, devenu général à la retraite et prospère homme d’affaires, tirant sur la foule avec sa mitraillette.
Contrairement aux déclarations officielles, Ahmed Ben Bella ne sera jamais jugé ni par une cour civile ni par une juridiction militaire. Au mépris du droit, il sera maintenu en détention secrète jusqu’après la mort de Boumediene en décembre 1978.
Excepté deux ou trois de ses proches, sa femme et sa mère notamment, personne ne sera autorisé à lui rendre visite dans son « tombeau », comme l’appellera plus tard Ben Bella. Rares seront ceux qui oseront solliciter Boumediene pour obtenir des informations sur le sort du président déchu.
« Ben Bella est sous mes pieds. »
Lorsque Jean de Broglie, ministre français, demanda un jour à Boumediene des nouvelles de Ben Bella, celui-ci lui répondit d’un laconique : « Ben Bella est sous mes pieds.»
Les premières semaines qui suivront le putsch seront pénibles pour le nouveau pouvoir. En plus de l’hostilité manifeste des Algériens à voir une junte militaire diriger le pays, la communauté internationale reste sceptique. Il faudra des trésors de diplomatie pour déminer la situation et persuader les partenaires de l’Algérie de coopérer avec la nouvelle équipe dirigeante.
Abdelaziz Bouteflika reçoit les ambassadeurs accrédités à Alger pour expliquer les tenants et les aboutissants du coup d’Etat. A tous, il affirme que la politique étrangère de l’Algérie ne subira pas de modification. La conférence afro-asiatique, initialement prévue pour fin juin est annulée. De nombreux chefs d’Etat et de dirigeants africains et asiatiques se sont rétractés.
Le 5 juillet 1965, on annonce officiellement la proclamation du « Conseil de la révolution », l’instance qui assumera le pouvoir pendant des années.
19 juin fête nationale
La date du 19 juin, baptisée journée nationale du « redressement populaire », est devenue fête nationale, chômée et payée durant les règnes de Boumediene et Chadli.
Un seul président, Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992, avait osé supprimer sa célébration en 1992. Son successeur Ali Kafi aura vite fait de la rétablir avant que Bouteflika ne décide de la supprimer définitivement en février 2005.
Principalement impliqué dans ce coup d’Etat, Abdelaziz Bouteflika ne s’expliquera presque jamais sur ce triste épisode de l’histoire.
Ahmed Ben Bella sera libéré en octobre 1980 par Chadli qui a succédé à Boumediene en 1979. A celui qui a contribué à le destituer, il ne tiendra pas rancune.
Mieux, il pardonnera à Bouteflika en allant lui faire l’accolade au cours d’une réception officielle organisée au Palais du Peuple en l’an 2000.
Et les deux hommes deviendront les meilleurs amis du monde.
Episode4 et fin
2h10 du matin. A l’intérieur de la Villa Joly, Ben Bella dort depuis moins de deux heures. La journée a été si harassante qu’il n’entend pas les bruits de l’extérieur. Sa gouvernante est réveillée par le vacarme. On frappe à la porte. Ben Bella émerge de son sommeil, va ouvrir.
Devant la porte se tiennent trois hommes. Tendu, les mains légèrement tremblantes, le colonel Tahar Zbiri, chef de l’état-major de l’armée, se met en face de son président.
Derrière lui, le commandant Draia, directeur des forces de sécurité et Said Abid, chef de la région militaire d’Alger-centre.
C’est Zbiri qui est officiellement chargé d’exécuter l’ordre que venait de lui donner quelques minutes plutôt, son ministre de la Défense, Houari Boumediene : mettre le président de la république aux arrêts. « Au nom du Conseil de la Révolution, j’ai l’ordre de vous arrêter sous l’inculpation de haute trahison », clame-t-il d’un ton solennel face à un Ben Bella incrédule.
Ben Bella tente de résister
Debout, en pyjama, il n’a pas eu le temps de s’habiller, le président croit d’abord à une plaisanterie de mauvais goût. Mais il déchante vite. Ces trois visiteurs ne sont pas là pour lui organiser une farce. Passé les premiers moments de stupeur, le président tente de faire face au groupe d’officiers félons.
D’un air martial, il menace. « L’acte dont vous portez aujourd’hui la grave responsabilité, vous aurez un jour à en répondre devant l’histoire et le peuple algérien », tonne-t-il. En vain.
Les trois hommes restent de marbre. Zbiri, dans un geste d’énervement, lâche une phrase qui restera célèbre : « Khlass Ya Hmmimed (c’est fini Hmmimed, le surnom d'Ahmed Ben Bella) ».
Résigné, Ben Bella lâche un juron : « Inaadine Echitane ! (Que la diable soit maudit !) », avant de demander à ses ravisseurs de lui laisser du temps pour se rhabiller.
« Inaadine Echitane ! (Que la diable soit maudit !) »
Encadré par les trois officiers, le président monte dans une voiture noire qui l’amène vers une destination inconnue.
Autour de sa villa, une dizaine d’hommes en uniforme, armés jusqu’aux dents, assurent la sécurité des lieux. Avant de disparaître, Ben Bella leur jette un dernier regard. Il se rend compte que ces hommes chargés de veiller sur sa quiétude, il ne les connaît pas. Il ne les jamais vu auparavant.
Ces gardes ont été installé là sur ordre du ministère de la Défense. Quelques heures auparavant, ils avaient été discrètement affectés pour prendre le contrôle de la résidence du chef de l’Etat en remplaçant la petite garde prétorienne, chargée depuis des années, de veiller à la sécurité du Président.
C’était là le premier coup de cette partie d’échec que Boumediene préparait depuis quelques jours.
Au ministère de la Défense
Ben Bella aux arrêts, il reste à jouer la seconde partie. La plus importante : neutraliser ses alliés et convaincre les Algériens et le reste du monde du bien fondé de ce putsch.
2h30 du matin. Siège du ministère de la Défense. Réuni autour d’une poignée de fidèles, Boumediene attend ses hommes aux rapports. Le téléphone sonne. Au bout du fil, le colonel Tahar Zbiri : « Mission accomplie», dit-il.
Autour de Boumediene, on respire. Un immense soulagement se ressent parmi l’assistante. Jean Daniel, envoyé spécial du Nouvel Observateur, raconte dans son reportage (24 juin 1965) qu’à l’annonce de la nouvelle, Boumediene allume une cigarette, lui qui a cessé de fumer depuis une année.
Ben Bella interpellé, il faut procéder à d’autres arrestations. Les militaires, menus de directives fermes, entament les premières rafles. Hadj Ben Ala, ami de Ben Bella et président de l’Assemblée populaire est arrêté chez lui. Les ministres Abderahmane Cherif et le Dr Mohamed Seghir Nekkache, subissent le même sort.
Arrestations et morts
Durant toute la nuit, pas moins de 500 personnes seront interpellées. D’autres, informées à la dernière minute, tentent de se cacher ou de fuir la capitale pour échapper aux rafles des hommes de Boumediene. Au cours de la même nuit, les chars de l’armée prennent d’assaut les sièges de la radio, de la télévision et des journaux.
Aux premières lueurs du matin, tout est fini. Le coup d’Etat contre le président Ahmed Ben Bella est un succès.
Toutefois, Il faudra attendre la fin de la matinée du samedi 19 juin pour que la radio annonce la nouvelle. Contrairement à ses prévisions et à ses instructions, le coup d’Etat ne se fera pas sans effusion de sang. Pendant plusieurs semaines, des milliers d’Algériens manifestent contre le renversement du président.
Le manchot à Annaba
La police effectuera plusieurs arrestations et l’armée n’hésitera pas à tirer sur la foule dans plusieurs villes du pays. C’est le cas notamment de Annaba, dans l’Est d’Algérie, ville qui se souviendra longtemps de ce haut gradé de l’armée, manchot, devenu général à la retraite et prospère homme d’affaires, tirant sur la foule avec sa mitraillette.
Contrairement aux déclarations officielles, Ahmed Ben Bella ne sera jamais jugé ni par une cour civile ni par une juridiction militaire. Au mépris du droit, il sera maintenu en détention secrète jusqu’après la mort de Boumediene en décembre 1978.
Excepté deux ou trois de ses proches, sa femme et sa mère notamment, personne ne sera autorisé à lui rendre visite dans son « tombeau », comme l’appellera plus tard Ben Bella. Rares seront ceux qui oseront solliciter Boumediene pour obtenir des informations sur le sort du président déchu.
« Ben Bella est sous mes pieds. »
Lorsque Jean de Broglie, ministre français, demanda un jour à Boumediene des nouvelles de Ben Bella, celui-ci lui répondit d’un laconique : « Ben Bella est sous mes pieds.»
Les premières semaines qui suivront le putsch seront pénibles pour le nouveau pouvoir. En plus de l’hostilité manifeste des Algériens à voir une junte militaire diriger le pays, la communauté internationale reste sceptique. Il faudra des trésors de diplomatie pour déminer la situation et persuader les partenaires de l’Algérie de coopérer avec la nouvelle équipe dirigeante.
Abdelaziz Bouteflika reçoit les ambassadeurs accrédités à Alger pour expliquer les tenants et les aboutissants du coup d’Etat. A tous, il affirme que la politique étrangère de l’Algérie ne subira pas de modification. La conférence afro-asiatique, initialement prévue pour fin juin est annulée. De nombreux chefs d’Etat et de dirigeants africains et asiatiques se sont rétractés.
Le 5 juillet 1965, on annonce officiellement la proclamation du « Conseil de la révolution », l’instance qui assumera le pouvoir pendant des années.
19 juin fête nationale
La date du 19 juin, baptisée journée nationale du « redressement populaire », est devenue fête nationale, chômée et payée durant les règnes de Boumediene et Chadli.
Un seul président, Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992, avait osé supprimer sa célébration en 1992. Son successeur Ali Kafi aura vite fait de la rétablir avant que Bouteflika ne décide de la supprimer définitivement en février 2005.
Principalement impliqué dans ce coup d’Etat, Abdelaziz Bouteflika ne s’expliquera presque jamais sur ce triste épisode de l’histoire.
Ahmed Ben Bella sera libéré en octobre 1980 par Chadli qui a succédé à Boumediene en 1979. A celui qui a contribué à le destituer, il ne tiendra pas rancune.
Mieux, il pardonnera à Bouteflika en allant lui faire l’accolade au cours d’une réception officielle organisée au Palais du Peuple en l’an 2000.
Et les deux hommes deviendront les meilleurs amis du monde.
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