lundi 16 avril 2012

Algérie--: Dans les coulisses du coup d’Etat qui a renversé Ahmed Ben Bella en 1965 (Episode1)



Samedi 19 juin 1965, Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante, est renversé par un coup d’Etat organisé et fomenté par son ministre de la Défense Houari Boumediene, aidé par une poignée de conjurés dont Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères. DNA raconte dans cette enquête les coulisses du complot qui a renversé Ahmed Ben Bella qui vient de décéder à l’âge de 95 ans.


Episode 1 : Ben Bella- Bouteflika, vielles connaissances
Parmi tous les facteurs qui ont concouru au déclenchement du coup d’Etat du 19 juin 1965, il y en a un qui fait l’unanimité : la personne de Abdelaziz Bouteflika. Le ministre des Affaires étrangères entre 1963 et 1979 aura été l’élément déterminant qui a fait précipiter les événements.
Pourtant, rien, absolument rien, ne dispose ces deux hommes, Ben Bella et Bouteflika, à devenir ennemis. Le capitaine Bouteflika n'avait-il pas rencontré, sur recommandation de Boumediene, en décembre 1961, Ahmed Ben Bella, alors détenu au Château d'Aulnoy, en région parisienne, pour lui proposer de devenir président avec le concours des militaires de l'état-major?
Bouteflika, fringuant ministre
Bouteflika ne doit-il pas carrière politique à Ben Bella ? Jeune député de Tlemcen, dans l'ouest d'Algérie, il entre dans le premier gouvernement algérien le 27 septembre 1962 comme ministre de la Jeunesse.
Cette nomination n’est pas faite pour satisfaire le colonel Boumediene qui aurait souhaité que son ami et protégé Bouteflika soit plutôt placé à la tête du ministère de la Défense.
De cela, Ben Bella n’en pas fera pas cas. Pour autant, Bouteflika, l’un des plus jeunes ministres de gouvernement, fait bonne figure. Mieux, il épatera.
Intelligent, rusé et grand charmeur, Abdelaziz Bouteflika sait épater ses amis et séduire ses adversaires. S’il ne réalise pas de miracles au sein de son département, il réussira à attirer la sympathie de tout le monde, ou presque. A plus forte raison, celle de son président.
Si bien que, moins d’une année plus tard, le 18 septembre 1963, il hérite du prestigieux portefeuille des Affaires étrangères, à la mort de Mohamed Khemisti, officiellement assassiné par un déséquilibré mental le 5 mai 1963. Thèse qui demeure jusqu’à l’heure sujette à caution.
Un remaniement qui passe mal
A la grande surprise du président Ben Bella, ce remaniement ministériel va susciter des petites tempêtes dans le microcosme politique algérien.
C'est que la désignation d’Abdelaziz Bouteflika au Affaires étrangères crée remous et contestations parmi les ministres, les députés et les proches de Ben Bella.
On s’offusque qu’un fringant jeune homme de 26 ans, dépourvu de toute expérience dans le domaine, soit désigné pour diriger la diplomatie d’un pays qui souhaite jouer un grand rôle sur la scène internationale.
Lorsqu’il apprendra la nouvelle, le président de l’Assemblée nationale, Hadj Ben Alla, manque de s'étouffer de rage. « Bouteflika n’est pas digne d’occuper une fonction aussi importante », tranche-t-il.
Kaïd Ahmed lorgne les Affaires étrangères
Un avis partagé par d’autres personnalités. Kaïd Ahmed, par exemple, premier responsable de la commission des affaires étrangères de l’assemblée. Lui estime que le poste lui revient de droit. Alors, il prendra les devants pour tenter de court-circuiter la décision de la présidence.
Avant même que le changement ministériel ne soit opéré, Kaïd Ahmed s’installe dans les locaux du ministère des Affaires étrangères tant considère-t-il être dans son bon droit.
Il s’y voit tellement que, dit-on, il dicte ses ordres aux différents responsables de ce département. Mais Kaïd Ahmed finira par se rendre à l’évidence. Le président ne reviendra pas sur sa décision : Bouteflika sera bel et bien le ministre des Affaires étrangères.
Dépité, Kaïd Ahmed quittera les locaux pour diriger le ministère du Tourisme.
« Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
Kaïd Ahmed et Hadj Ben Alla ne seront pas les seuls à contester la nomination de Bouteflika. D’autres ténors de la politique, notamment Mhamed Yazid, ministre de l’Information dans le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et Saad Dahleb, chargé du département des affaires étrangères dans le même exécutif, ne manquent pas de ricaner.
Comment Ben Bella réagit-il devant tant de désapprobation? Il restera impassible.
A ceux qui lui reprochent la confiance placée en la personne de Abdelaziz Bouteflika, il répond avec une grande assurance : « Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
« Le patron nous fait honte »
Les diplomates qui ont fait leurs preuves durant la guerre de libération pensent le contraire. Quelques semaines après les prises de fonctions de Bouteflika, raconte l'hebdomadaire Jeune Afrique dans sa livraison du 18 juillet 1967, ils ne se gênent pas pour lancer des remarques perfides en direction du nouveau ministre. « Le patron nous fait honte », persiflent-ils.

Le président devra très vite déchanter devant ce chef de la diplomatie qu’il a tenu à imposer à ses pairs, au risque de subir leurs courroux. Parce qu’au fil des mois, Bouteflika s’émancipe de la tutelle de Ben Bella A tel point qu’il devient gênant, voire indésirable. Désormais, Ben Bella ne veut plus de lui dans le staff gouvernemental.
Objectif : Contraindre Bouteflika à la démission

Ahmed Ben Bella est de plus en plus obsédé par une seule idée : obtenir le départ de Bouteflika. Les relations entre les deux hommes se détériorent de jour en jour.
Le président n’hésite pas à critiquer ouvertement son chef de la diplomatie. Devant des personnalités étrangères, il déclare que « Bouteflika n’en fait qu’à sa tête. Alors que moi, pour voir un ambassadeur, je dois passer par lui.»
On raconte volontiers que Bouteflika consulte rarement le chef de l’Etat. Il lui arrive même de réunir les ambassadeurs algériens sans l’informer. Une attitude insupportable pour Ben Bella qui aspire de plus en plus à contrôler les différents centres du pouvoir.

A son tour, Ahmed Ben Bella n’est pas avare en piques et remontrances à son égard. A l’occasion, il lance des flèches assassines à l’endroit de Bouteflika.
Exemple cet cet incident diplomatique survenu lors du voyage à Moscou en mai 1964. A l’issue de longs entretiens entre Russes et Algériens, Bouteflika et Boris Ponomarev, ministre chargé des relations avec les partis étrangers, sont appelés à rédiger le communiqué final sanctionnant les discussions.
Kroutchev réveille Ben Bella à 2 heures du matin

Les deux ministres érgotent pendant des heures. Bouteflika pinaille, chipote et se montre inflexible sur les termes du document. La séance de travail s’éternise jusqu’à deux heures du matin. Et le communiqué ne tombe pas.
Excédé, le diplomate russe informe son président, Nikita Kroutchev, lequel piquant une grosse colère après une de ses monumentales beuveries à la vodka, réveille Ben Bella pour l’informer de cet incident.
Que fait Ben Bella?
Le président algérien se fait un malin plaisir de sermonner Bouteflika en lui ordonnant de se calmer. Cet incident ne manquera pas de nourrir davantage l’animosité qui lie désormais les deux hommes.
Si les antagonismes pouvaient se limiter à ces états d’âmes et à ces sautes d’humeur…

Les points de divergences entre les deux hommes tournent essentiellement autour de la politique extérieure du pays. Bouteflika, tout comme son ami Boumediene, voit d’un mauvais œil l’influence de plus en plus grandissante qu’exercent certains hommes politiques égyptiens sur Ben Bella. Une influence qui date.
Ben Bella sous la coupe des Egyptiens
Bien avant l’indépendance, Gamal Abdelnasser, le raïs égyptien, avait réussi à mettre Ben Bella sous sa coupe. Et le voyage de Nasser à Alger, où il fut accueilli triomphalement, en mai 1963, scellera définitivement cette emprise. Cette visite, la première et la dernière de Nasser, débouchera sur de lourdes conséquences pour l’avenir de la jeune Algérie.
Des milliers de coopérants égyptiens y débarquent pour travailler comme techniciens et comme enseignants. Les deux présidents conviennent également d’une étroite collaboration dans le domaine militaire. L’amiral égyptien Eiret Soleiman est officiellement chargé d’organiser la marine algérienne ainsi que la garde personnelle de Ben Bella.
Fethi Dib, l'homme de Nasser à Alger
Fethi Dib, patron des services spéciaux, homme de main de Nasser, fera lui la pluie et le beau temps à Alger. Les services de renseignements égyptiens exercent un tel ascendant sur les Algériens que lors de la guerre qui oppose l’Algérie au Maroc en 1963, les Marocains réussissent à capturer des officiers supérieurs égyptiens, enrôlés dans les rangs de l’armée algérienne.

Du reste, le Dr Mohamed Seghir Nekkache, ministre de la Santé, ami intime de Ben Bella, est communément considéré à Alger comme « l’homme des Egyptiens ». L’ambassadeur d’Egypte à Alger, Ali Kachaba? Il est soupçonné de faire de la diplomatie parallèle au profit du Caire.

Une telle mainmise des Egyptiens sur Ben Bella fait grincer des dents au sein des instances dirigeantes.
Hassan II raconte
Dans son ouvrage « Hassan II, la mémoire d’un Roi » (Edition Plon, 1993), l'écrivain et journaliste français Eric Laurent raconte cette anecdote édifiante sur la méfiance entretenue entre Ben Bella et Boumediene.
Nous sommes début 1965, le sommet de la ligue arabe se tient au Caire. Nasser tente de réconcilier Algériens et Marocains, voisins devenus ennemis. Le conclave auquel prendront part Hassan II, Nasser et Anouar Sadate, se déroulera dans la suite du président algérien à l’hôtel Hilton.
Ben Bella arrive à la rencontre, suivi de prés par Houari Boumediene, son ministre de la Défense. Au moment de franchir la porte, Ben Bella se retourne vers Boumediene pour lui signifier d’un ton sec : « Toi tu n’entres pas. C’est mon appartement. »
Le roi du Maroc qui raconte l’épisode à Eric Laurent dira : « Nasser hoche la tête d’un mouvement approbateur, l’air de dire : 'Oui, il n’a rien à faire ici.'» « Je crois, poursuit Hassan II, que ce jour-là, le sort de Ben Bella a été scellé. En entendant ces mots, Boumediene a terriblement pâli et j’ai compris qu’il n’oublierait jamais cette humiliation. »
Nasser : Boumediene n'a rien à faire ici
Si cette anecdote est sans doute très révélatrice des dégâts qu’à fait subir Nasser à l’Algérie, par l’entremise de Ben Bella, elle n'est pas moins révélatrice des relations conflictuelles et tendues entre Boumediene et Ben Bella.
Ce dernier n’a jamais réellement fait confiance à son ministre de la Défense. C’est comme si les deux hommes s’épient, se surveillent, chacun attendant le bon moment pour se débarrasser de l’autre.
En témoigne encore cette scène d’une prophétie inouïe, survenue une année plutôt, en avril 1963.
« Comment vont les intrigues ? »
Le président algérien reçoit alors Lotfi El Khouli, envoyé spécial du prestigieux journal égyptien El Ahram. Ahmed Ben Bella présente au journaliste Houari Boumediene en ces termes : « Voici l’homme qui prépare des complots contre moi », déclare Ben Bella avant de se retourner vers son ministre de la Défense pour l’apostropher : « Comment vont les intrigues ? », l'interroge-t-il.
Imperturbable, Boumediene répond à son président avec un flegme et un calme extraordinaires : « Très bien, merci. »

Il était donc écrit que le destin qui lie les deux personnages finisse d’une façon tragique ? Mais entre Boumediene et Ben Bella, Bouteflika fera office de mèche. Il sera ce « catalyseur » du coup d’Etat ainsi que l’écrit Hervé Bourges dans son livre « L’Algérie à l’épreuve du Pouvoir », sorti en 1967.
Lire la deuxième partie :
Ben Bella : « Ce ne sont pas des marionnettes comme ça qui sont capables de faire un coup d’Etat. »

Lire l'article original : Enquête : Dans les coulisses du coup d’Etat qui a renversé Ahmed Ben Bella en 1965 (Episode1) | DNA - Dernières nouvelles d'Algérie

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