Il me semble qu’Alger a plutôt pris position sur le fait que les pays du Golfe, qui sont des acteurs diplomatiques émergents, exécutent l’agenda des grandes puissances occidentales. L’appel de la Ligue arabe est un précédent dans l’histoire de l’organisation et notre pays n’est pas encore prêt à accepter une telle mutation. Nous devrions pourtant prendre acte du fait que le monde change et que notre pays, qui ne s’est pas encore aménagé une place dans la nouvelle architecture des relations internationales, ne peut pas infléchir cette tendance.
Cette position n’est‑elle pas similaire à celle déjà prise à l’encontre de Kaddafi, avec la suite qu’on connaît ?
Avec Kadhafi, comme avec le reste, l’Algérie a fait, à mon sens, deux erreurs d’évaluation. La première, c’était de croire que les dirigeants pouvaient se maintenir au pouvoir grâce à une armée puissante. La seconde : elle n’a pas mesuré la véritable nature de l’évolution des opinions et leurs aspirations au changement. La présidence à vie et son corollaire la succession familiale, l’absence de contrôle populaire sur les richesses publiques et l’immunité absolue accordée aux gouvernants, sont les véritables leviers des révoltes dans le monde arabe.
En cas de chute du régime de Damas, selon vous, Alger sera‑t‑il, une fois encore, contraint de revoir sa position ?
La chute est inéluctable et la position de la Russie ne tardera pas à changer car si ce pays a saisi ce dossier pour se replacer sur la scène internationale, il reste pragmatique et défend des intérêts de superpuissance. Le régime syrien fait la même erreur que Saddam Hussein qui avait cru que ses alliés russes allaient s’impliquer et le soutenir militairement dans sa guerre contre la coalition occidentale. Ce qui me paraît le plus regrettable dans notre positon sur les révoltes en Tunisie, en Libye, en Égypte et en Syrie, c’est que nous donnons le sentiment aux opinions publiques de ces pays que nous soutenons leurs dirigeants contre eux.
Comment expliquer ces fréquents revirements ?
En réalité il n’y a pas de revirements et c’est ça le problème. Nous avons de sérieux problèmes d’adaptation et cela n’est pas propre à la politique étrangère, c’est une question de gouvernance globale du pays. L’Algérie devrait considérer que ses seuls principes sont ceux qui obéissent à ses intérêts et en faire le socle de sa doctrine en politique étrangère. Faute de quoi nous ne sortirons pas de l’héritage des années 1970.
Malgré les critiques, notamment des partis, notre diplomatie reste sourde…
On fait un mauvais procès à la diplomatie algérienne qui n’est qu’un des acteurs de la politique étrangère et avec une faible marge de manœuvre. Ceux qui ont véritablement manqué à leur devoir de sensibilisation des Algériens et de solidarité avec les peuples arabes, ce sont justement les partis politiques, les acteurs de la société civile et les élites.
Ils n’ont pas pris conscience qu’ils sont également des acteurs des relations internationales. Alors ils s’inscrivent dans deux perspectives, celle de soutenir s’ils sont au pouvoir ou de critiquer s’ils sont dans l’opposition. Ils n’ont pas de relais à l’international et n’apportent rien à l’action diplomatique. Il en est de même des organisations socioprofessionnelles comme les avocats et les syndicats. Enfin, je pense qu'en l’état actuel de notre audiovisuel interne et externe, il serait illusoire d’espérer avoir une politique extérieure performante.
Propos recueillis par Sonia Lyes TSA
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