Un pays se révèle autant par ses grandes décisions, par ses ambitions que par ses mœurs. Et quand le chambellan prend le pas sur le ministre, il y a de quoi s’inquiéter.
A en croire ces informations, MM. Mokhtar Reguieg, directeur du protocole à la présidence de la République, et Mohamed Rougab, secrétaire particulier du président, auraient réussi à soutirer 50.000 dollars à un dignitaire saoudien, un prince. En contrepartie de cette somme, ils lui auraient promis une rencontre avec le chef de l’Etat, avant de l’informer que M. Bouteflika, trop malade, était dans l’incapacité de le recevoir.
Le prince saoudien avait-il l’intention de faire des affaires en Algérie ? Voulait s’offrir une simple rencontre de prestige avec un chef d’Etat « ami », pour éventuellement monnayer plus tard la photo de la rencontre? Avait-il un message plus ou moins confidentiel à faire parvenir à M. Bouteflika, comme c’est l’usage dans une diplomatie parallèle assez répandue dans les pays arabes ?
Pour l’heure, c’est le mystère. La présidence de la république n’a ni commenté, ni démenti l’information, malgré les proportions que cette affaire a prises. Ce n’est, du reste, pas dans les usages de l’Algérie de gérer ce genre de scandale par la transparence. D’autant plus que cette affaire pourrait être réduite à un banal fait divers mettant en cause des sous-fifres qui veulent se sucrer en tirant profit de leur poste. Après tout, le majordome du pape lui-même a été condamné dans une obscure affaire de confiance trahie.
Les choses sont cependant totalement différentes. Il ne s’agit pas d’une erreur dans un environnement sain, ni d’un petit dérapage dans un monde « normal », mais d’un nouvel acte qui confirme ce qu’est devenue l’Algérie : du haut en bas de l’échelle institutionnelle, du sommet de la hiérarchie au rang le plus modeste, la tendance est à un fonctionnement indigne. Comme dans le Harlem des années 1920 décrit par Chester Himes, chacun veut monter sa combine, « frapper son coup », sans égard pour son poste, pour sa fonction ou pour l’institution qu’il représente.
Une administration, un ministère, et désormais, la présidence de la république elle-même, n’échappent plus à cette image. Ce ne sont plus des lieux considérés comme les dépositaires de l’autorité de l’Etat, les symboles de sa puissance et de sa force. Ils sont désormais vus comme des repaires de brigands, d’opportunistes tapis dans l’ombre, écoutant derrière les portes, fouillant les tiroirs, emportant avec eux la vaisselle, le soir, dans des mallettes conçues initialement pour garder les secrets de l’Etat.
Ce sont les hommes les plus proches du président qui sont désormais concernés, ses hommes de confiance par excellence, c’est-à-dire son directeur de protocole et son secrétaire particulier. Mais pouvait-il en être autrement quand un pays s’enfonce dans ce mélange des genres, pour confondre relations personnelles et institutionnelles, quand l’ami acquiert plus de pouvoir que le ministre, et quand la bande prend le pas sur l’Etat ? Etait-il possible de sauver les apparences quand des personnes, ramenées dans les valises du chef de l’Etat, confisquent l’Etat, ses symboles et son patrimoine, pour se partager les postes de ministres, y faire ce qu’ils veulent, avant de s’en aller sans rendre compte à qui que ce soit ? Pouvait-on échapper à cette déchéance quand la qualité de copain ou de frère donne plus de pouvoir que le titre de ministre, directeur, ou secrétaire général, et quand les réseaux informels acquièrent plus de pouvoir que ceux qui ont officiellement en charge la responsabilité de gérer les affaires du pays ?
Ces comportements, symptomatiques d’une époque, relèguent au second plan les autres problèmes du pays. Car la situation a atteint une gravité exceptionnelle, et tout devient désormais possible. On peut imaginer qu’un haut responsable, un ministre ou un général, ayant en charge la gestion des finances du pays ou sa sécurité, ne puisse voir le chef de l’Etat parce que le chambellan, n’ayant pas obtenu une faveur, décide de lui interdire l’accès du bureau présidentiel. Il peut même lui mentir, en lui disant que le chef de l’Etat est trop malade pour le recevoir, avec tout ce qu’une rumeur pareille peut provoquer.
L’inquiétude est d’autant plus vive qu’on commence, contre tout bon sens, à parler d’un quatrième mandat pour le président Bouteflika. Que deviendra la république si quatrième mandat il y avait ? Que resterait-il de l’Algérie et de ses institutions ? Verra-t-on des secrétaires voler des cachets de la présidence de la république pour signer des contrats et des marchés ? Verra-t-on… Non, c’est trop grave. Ça ne peut pas arriver. C’est pour cela qu’il est préférable de penser que cette information concernant MM. Reguieg Et Rougab est un vulgaire complot ourdi par une quelconque officine pour trainer l’Algérie dans la boue.
Abed Charef
lanation.info
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