Hacène LOUCIF
Le « non » de Dda L’Mulud à « la république kabyle » offre une substance culturelle à la voie algérienne de sortie de l’impasse politique, porteuse de risques réels d’une dislocation sanglante de l’Algérie. Il sonne, aussi, comme une mise en garde contre tout projet séparatiste pouvant faire de la Kabylie une sorte de « réserve politique » stérilisante.
Ferhat Mehenni, au service des Raisons d’Etats
Mouloud Mammeri, Dda L’Mulud, revient en ce mois de Février. Dans quelques jours sera commémorée la disparition du «formidable poète », l’un des plus grands écrivains de l’Algérie et du Maghreb, celui qui fut -selon l’autre poète Tahar Djaout- l’auteur de l’une des plus grandes révolutions du XXe siècle.Cela fait 24ans (déjà !) que Dda L’Mulud nous a quitté. Et s’il était encore vivant parmi nous, quelle serait sa position vis-à-vis de l’une des questions les plus préoccupantes de l’actualité algérienne : Le projet de l’indépendance de la Kabylie prôné par Ferhat Mehenni et son Gouvernement provisoire kabyle (GPK) ? La réponse à cette question se trouve dans l’entretien que Dda L’Mulud a accordé à l’intellectuel algérien Abdelkader Djeghloul, intitulé « Mouloud Mammeri ou le courage lucide d’un intellectuel marginalisé » paru en 1990, dans le numéro spécial « Hommage à Mouloud Mammeri » de la revue « Awal » (parole) dont Dda L’Mulud fut le fondateur. Voici l’extrait qui montre l’hostilité de Dda L’Mulud à l’égard de tout projet d’établissement d’un Etat kabyle indépendant :
« Djeghloul Abdelkader : Alors... une république kabyle...
Mouloud Mammeri : Non, je ne la revendique pas. Je revendique l'unité de l'Algérie, mais je dis en même temps que les Kabyles, avec les autres biens sûrs, forment la texture de l'unité nationale. »
Cette position du « démocrate impénitent » ne souffre aucune ambiguïté. Pour lui, il n’est pas question de séparer la Kabylie du reste de l’Algérie. Seulement -c’est ce que nous retrouvons dans le même entretien- l’unité nationale ne peut-être préservée que par une prise en charge politique de sa diversité culturelle. A l’aune de tous les bouleversements que connait le Maghreb et le Sahel, cette prise en charge ne peut-être effective que dans le cadre d’une solution politique nationale et négociée. Une solution allant dans le sens de la réhabilitation du peuple algérien dans son droit d’exercer sa souveraineté. Le « non » de Dda L’Mulud à « la république kabyle » offre une substance culturelle à la voie algérienne de sortie de l’impasse politique, porteuse de risques réels d’une dislocation sanglante de l’Algérie. Il sonne, aussi, comme une mise en garde contre tout projet séparatiste pouvant faire de la Kabylie une sorte de « réserve politique » stérilisante. Du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK) au Gouvernement provisoire kabyle (GPK), Ferhat Mehenni a multiplié amalgames, contradictions et « liaisons dangereuses ». Cela fait 12ans que « le président » du GPK-décrit comme « organisation virtuelle, voire chimérique » par son « ancien ministre de l’Économie, des Finances, de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire », Idir Djouder- s’acharne à confiner la Kabylie dans une sorte de vérité émotionnelle. En ce sens, il a fait de la mobilisation des sentiments nés de la machination criminelle qui a visé cette région de l’Algérie, en 2001, son cheval de bataille. Au départ, il a joué la carte de « l’autonomie de la Kabylie ».
Ainsi fut créé, en juin 2001, le MAK. Comme les « Arouches », ce mouvement s’est greffé à la révolte de la population. Mission : Empêcher une prise en charge politique de cette révolte dans le cadre du combat pour la réhabilitation de la légitimité populaire, en Algérie. Au départ, le MAK avait mis en avant dans son projet « l’autonomie territoriale de la Kabylie au sein d’une Algérie décentralisée ». Cela a permis à Ferhat Mehenni de dérouler son discours le temps de préparer le terrain pour son projet séparatiste. Cette « préparation psychologique » à duré neuf ans. Le 1er juin 2010, Ferhat Mehenni annonce la création du GPK, à partir de Paris. Le pas vers la scission est franchi. « Si vous parlez du projet d’autonomie de la Kabylie, le débat est derrière nous » annonce-t-il, dans une interview accordée à El Watan et répercutée par le MatinDZ et quelques sites, au lendemain de la création du GPK. Ferhat Mehenni, au service des Raisons d’Etats, pour se donner le beau rôle de défenseur des intérêts de la Kabylie, M Mehenni s’adonne à la manipulation des faits historiques marquants du pays, notamment l’insurrection du Front des forces socialistes (FFS) de 1963. Ainsi, il parle d’ « échecs répétés des entreprises politiques kabyles depuis 1962 ». Or, dans sa proclamation du 29 Septembre 1963, le FFS s’est clairement engagé pour « dégager un programme de résistance aux complots du gouvernement contre la révolution et l’unité de notre peuple ».
La manipulation, chez Ferhat, ne s’arrête pas là. Ce dernier met toutes les voix s’élevant contre son projet au registre de ce qu’il appelle « le national-chauvinisme », une position parfaitement opposée à celle de Mouloud Mammeri qui disait : « Les tenants d'un chauvinisme souffreteux peuvent aller déplorant la trop grande ouverture de l'éventail : Hannibal a conçu sa stratégie en punique ; c'est en latin qu'Augustin a dit la cité de Dieu, en arabe qu'Ibn Khaldoun a exposé les lois des révolutions des hommes. » Les motivations réelles de la démarche de Ferhat et ses « liaisons dangereuses » avec l’Etat sioniste d’Israël et ses lobbys, en France et aux Etats Unis, sont apparues au grand jour, lorsqu’il s’est rendu à Tel-Aviv, en Mai de l’année dernière. « Notre gouvernement revendique le droit à l’autodétermination du peuple kabyle. Nous sommes passés du stade de la revendication de l’autonomie à celui de l’autodétermination. » Avoue-t-il, enfin, dans une interview accordée à DNA-Dernières Nouvelles d’Algérie. Ceux qui ont cru à son discours sur « l’autonomie de la Kabylie » dans le cadre d’un système politique algérien décentralisé en ont pour leur compte. Il est clair que pour Ferhat et son « organisation », la Kabylie ne doit plus faire partie de l’Algérie. Ferhat veut plaider « le droit du peuple kabyle à l’autodétermination à l’ONU ». Pour cela, il n’hésite pas à solliciter l’aide des lobbys sionistes. Et quand on lui demande quelle est sa position par rapport à la question palestinienne. Cela l’agace. Le massacre des palestiniens, il ne faut en parler à Ferhat qui se voit déjà président de « la république kabyle ». C’est ainsi que Ferhat apprend à privilégier la raison d’Etat, toutes les raisons d’Etats, sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Raisons d’Etats obligent, Ferhat et son « organisation », ont soutenu l’intervention militaire française au Mali, une intervention qui risque d’introduire les pays du Sahel et ceux du Maghreb dans une spirale d’instabilité allant dans le sens d’une « reconfiguration » géopolitique de ces deux régions. Ce constat fait échos à celui établi par l’association « Survie » qui lutte contre la françafrique. « En réalité, pour Survie, la guerre que conduit actuellement la France au Mali s’inscrit dans la droite ligne de la politique qu’elle mène en Afrique depuis cinquante ans – une ingérence diplomatique, économique et financière et un interventionnisme militaire au service d’intérêts français, pour laquelle les décisions sont prises, comme à son habitude, sans réel débat entre l’exécutif et le Parlement et encore moins avec la population de la France. » prévient-elle dans son dossier d’information intitulé « Les zones d’ombres de l’intervention française au Mali. Eléments de contexte et d’explication ». C’est dire que le droit des peuples à leurs libertés est loin de constituer une préoccupation pour Ferhat et son GPK. Pour eux, la scission de la Kabylie est une finalité qui justifie la dislocation de l’Algérie et les moyens d’y parvenir. Ainsi, il n’ pas hésité de parler de « confusions des peuples et des pays »-une façon pour lui de montrer « l’annexion forcée » de la Kabylie « à l’ensemble algérien » - dans une lettre ouverte au président français, François Hollande, juste avant sa récente visite en Algérie. Le contenu de cette lettre montre l’étendue de la manipulation de Ferhat des évènements historiques de l’Algérie. Sur ce plan, rien ne l’arrête. Pourvu que sa « cause » soit entendue et que cela serve de carte de pression sur la composante clanique du pouvoir algérien dans le cadres de la signature des « accords » entre l’Algérie et la France, des accords sur fond d’un « deal »:
L’ouverture de l’espace aérien algérien pour les avions militaires français, afin de faciliter l’intervention militaire au Mali contre le soutien au président Bouteflika pour un quatrième mandat. Le marché des raisons d’Etat fonctionne à merveille. Et dans ce marché prolifèrent des acteurs, comme Ferhat Mehenni et des organisations, séparatistes ou autres, comme le GPK. La crise de légitimité que vit le système algérien offre à Ferhat l’opportunité de vider le combat démocratique de sa substance politique et de le détourner en faveur de son projet séparatiste. Ce faisant, il accentue la confusion, déjà épaisse, entre ceux qui détiennent le pouvoir réel en Algérie et les institutions de l’Etat, prises en otage dans une configuration administrative formelle du fonctionnement du système politique. A ce titre, son « organisation », le GPK est allé jusqu’à jouer sur la menace de « dirigeants » qui « rêvent de construire leur propre bombe nucléaire », dans une lettre ouverte à Hillary Clinton, lors de sa visite à Alger, en Février 2012. Ferhat et son « organisation » jouent « le spectre nucléaire » quitte à faire courir à l’Algérie le risque d’un scénario similaire à celui de l’Irak. Par ailleurs, la question de l’origine du financement des déplacements de Ferhat et du fonctionnement de son GPK reste posée. Elle est à l’origine du départ d’Idir Djouder « ministre » du Budget et d’autres membres. En plus, le projet du GPK trahi une pathologie d’exclusion portant les germes de l’unicité. L’un des symptômes de cette pathologie a pour nom « le Ministère de la Langue kabyle, de l’Enseignement, de la Recherche scientifique et de la Formation », confié à Lhacène Ziani, poète à ses heures gagnées. Ainsi, ce « ministère » exclut jusqu’aux autres variantes de la langue amazigh de son programme. Le projet séparatiste de Ferhat Mehenni est un danger pour la Kabylie et pour l’Algérie. Car, pour reprendre une autre citation de Dda L’Mulud « Il se peut que les ghettos sécurisent, mais qu'ils stérilisent c'est sûr. »
Mercredi 13 Février 2013 (LA NATION)
http://www.lanation.info/Les-dessous-de-la-surenchere-separatiste-en-Kabylie_a1886.html
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