Feu Brahimi avec le président Marzouki |
Moncef Marzouki : Nous étions justement en train de finir d'élucider l'assassinat de Chokri Belaïd et nous avions déjà une idée là-dessus. Les assassins commencent à paniquer. Ils voulaient faire diversion avec une autre affaire. La date du 25 juillet n'a pas été choisie par hasard. C'est l'anniversaire de la République tunisienne, mais ce n'est pas tout.
Tout le monde était réuni à l'Assemblée constituante pour dire que l'on était dans la dernière ligne droite de l'élaboration de la nouvelle Constitution. La date des élections législatives et présidentielle sera bientôt annoncée. On vit le dernier quart d'heure de la période intérimaire. Ce n'est donc pas un hasard, je vous le répète, si cet assassinat a eu lieu aujourd'hui. Il est important pour certaines personnes de montrer que le printemps arabe est en panne partout, alors que justement enTunisie, le consensus national est extrêmement fort et que règne la paix civile. C'est tout cela qu'on veut détruire.
Vous dites que la paix civile règne en Tunisie, mais c'est la deuxième fois cette année qu'un opposant politique est assassiné dans le pays...
En effet, et c'est chaque fois la même opération de déstabilisation. L'objectif est defaire en sorte que le processus n'aille pas jusqu'au bout.
Pour vous, ce sont les mêmes personnes qui ont commandité ces deux assassinats ?
Il n'y a pas de doute : ce sont les mêmes. Il y a un lien politique entre ces deux affaires – déstabiliser la Tunisie, l'empêcher de réussir sa transition – et la volonté de semer la zizanie entre les forces politiques.
Le ministre conseiller du chef du gouvernement, Nourredine Bhiri, a dit hier que l'identité des tueurs de Chokri Belaïd ou des commanditaires serait bientôt révélée. Vous confirmez que vous connaissez leurs noms ?
Oui, mais je ne peux pas vous les donner maintenant. Nous avons encore besoin de ramasser des preuves, et il reviendra au ministre de l'intérieur de faire cette annonce.
Quand cette annonce sera-t-elle faite ?
Je ferai tout pour que cette information soit divulguée le plus rapidement possible.
Il y a des manifestations et même des violences, en ce moment même, en Tunisie, en particulier à Sidi Bouzid. Qu'allez-vous faire pour empêcher qu'un bain de sang se produise, comme l'a prédit, il y a quelques heures, le secrétaire général de la centrale syndicale UGTT ?
Je vais m'adresser au pays ce soir et appeler au calme. Il ne faut pas donnerraison à ceux qui veulent mettre la Tunisie à feu et à sang. Moi-même, je suis retourné par cette affaire. Mohamed Brahmi était un homme que je connaissais personnellement. Il était venu quatre ou cinq fois dans mon bureau. Je comprends l'émotion des gens, mais elle doit être contenue et canalisée. Les assassins cherchent, justement, des débordements. L'émotion est légitime. Les débordements, eux, sont illégitimes.
Est-ce que vous ne craignez pas, ce soir, que la Tunisie bascule dans un scénario "à l'égyptienne" ?
Non, absolument pas. Les ingrédients n'y sont pas. Le consensus existe en Tunisie. Nous avons reçu toutes les forces de l'opposition. Le dialogue est permanent. Quant à l'armée tunisienne, elle est professionnelle et disciplinée. Elle ne s'est jamais mêlée de politique.
Jusqu'à présent, nous avons réussi à éviter tous les débordements. L'agressivité politique est restée canalisée dans les institutions ou dans les médias, à l'inverse de ce qui se passe ailleurs. La Tunisie est déterminée à achever sa transition démocratique, et je pense qu'elle y réussira.
Florence Beaugé (propos recueillis)
lemonde.fr
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