mercredi 5 mars 2014

Comment Riyad veut pousser le Qatar à rompre avec les Frères musulmans


Trois membres du club des monarchies arabes du Golfe, conduits par l'Arabie saoudite, ont décidé mercredi de sanctionner le Qatar, en rappelant leurs ambassadeurs. En cause, le soutien actif de Doha aux Frères musulmans. Décryptage.


Reprochant au Qatar de ne pas avoir mis en œuvre un accord prévoyant une non-ingérence des États arabes du Golfe dans les affaires internes de leurs partenaires, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn, ont décidé de rappeler leurs ambassadeurs en poste à Doha, mercredi 5 mars.
Une initiative sans précédent dans les relations entre les monarchies membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Selon le politologue Karim Sader, spécialiste des pays du Golfe, Riyad veut voir la diplomatie qatarie rentrer dans le rang en rompant définitivement ses liens avec les mouvances islamistes liées au Frères musulmans.

FRANCE 24 : Comment qualifieriez-vous cet accrochage diplomatique entre les monarchies du Golfe et le Qatar ?
Karim Sader : Il s’agit certes d’un évènement significatif, mais sûrement pas d’une crise majeure car l’histoire des relations de Doha avec ses voisins, précisément avec Riyad, a connu des périodes bien plus critiques, quand des litiges territoriaux avaient donné lieu, au début des années 1990, à des accrochages armés. L’escalade des tensions diplomatiques qui s’est matérialisée aujourd’hui par le rappel des ambassadeurs de l'Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et du Bahreïn au Qatar correspond à un premier échelon d’une crise. Il faut comprendre que cette pression diplomatique opérée essentiellement par l’Arabie saoudite, épaulée par les Émirats arabes unis, a pour but d’envoyer un message de fermeté au Qatar et de l’isoler au sein du CCG.
Qu’est-il exactement reproché au Qatar et à son nouvel émir ?
K.S : Doha est principalement accusé de soutenir activement les mouvances islamistes proches des Frères musulmans dans la région, et plus globalement dans le monde arabe. Il n’est un secret pour personne que le Qatar joue sa propre partition diplomatique à l’échelle régionale depuis une vingtaine d’années. Ce qui a toujours eu le don de susciter l’ire du grand frère saoudien qui considère le Golfe comme sa chasse gardée et qui perçoit la confrérie comme une menace pour la pérennité des monarchies du Golfe. Cette rivalité a atteint son paroxysme pendant le Printemps arabe qui a vu le Qatar et sa chaîne al-Jazirah soutenir ouvertement et activement les Frères musulmans et leurs affiliés islamistes. Pourtant, le nouvel émir, le cheikh Tamim ben Hamad al Thani [qui a succédé à son père en juin dernier, NDLR] avait émis des signaux rassurants de rupture avec cette ligne politique et affiché sa volonté de rentrer dans le rang. Mais force est de constater que la diplomatie du Qatar comporte encore un certain nombre d’ambiguïtés. Comme le démontre l’activisme trouble, derrière lequel plane le spectre du sponsor qatari, de certaines cellules proches de la confrérie au sein même du Golfe. Précisément aux Emirats arabes unis où des dizaines d’islamistes ont été condamnés à des peines de prison ces derniers mois. Mais c’est sans doute la question égyptienne qui aura été la caisse de résonnance de cet antagonisme, le Qatar ayant pris fait et cause pour le président Mohamed Morsi. Contrairement au royaume wahhabite et aux autres monarchies du Golfe qui s’étaient empressés d’adouber le nouveau pouvoir militaire qui l’avait renversé en juillet. Ils lui reprochent encore aujourd’hui, ainsi qu’à al-Jazirah, de ne pas suivre cette ligne.
En somme, l’Arabie saoudite veut soumettre la diplomatie du Qatar.
K.S : Il est clair que Riyad en a assez de l’indiscipline du Qatar, et souhaite mettre fin à l’ambiguïté de sa diplomatie. Les Saoudiens veulent que Doha prenne un virage clair dans sa position à l’égard de la confrérie. Car à l’heure où l’Arabie saoudite est soumise à un certain nombre de changements géopolitiques dans la région, elle souhaite restaurer sa suprématie en créant un mouvement d’alignement autour de son leadership qui soit soudé face à l’Iran, l’éternel rival dont l’allié américain s’est rapproché ces derniers mois. Par conséquent, Riyad souhaite se prémunir de toute velléité contestataire interne, dont la confrérie islamiste demeure l’incarnation aux yeux des monarchies du Golfe. Et pour ce faire, le jeune émir Tamim est prié de clarifier sa position sur cette question et de rentrer définitivement dans le rang. Or, on voit mal aujourd’hui le Qatar se mettre à dos l’ensemble de ses partenaires du CCG.
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