''Il existe une relation dialectique entre la logique rentière et la sphère informelle en extension avec des ramifications extérieures, qui détruit tout esprit d’initiative et donc l’émergence de tout tissu productif.''
Monsieur Ahmed OUYAHIA premier ministre algérien du président Abdelaziz Bouteflika, et secrétaire général du RND, et également chef de gouvernement du temps du président Liamine Zéroual, a dressé le 02 juin 2012 un bilan sombre de la situation socio économique de l’Algérie à la veille de 50 années d’indépendance politique en ce début du mois de juin 2012, propos rapportés par l’agence officielle APS. Je cite ses propos que je résume en trois axes directeurs : « l’argent gouverne en Algérie et il devient mafieux ;il ne suffit pas de changer de gouvernement pour réaliser le véritable changement qui demande du temps. La situation difficile vécue par l’Algérie dans les années 1990, sur le plan sécuritaire et économique peut revenir si rien n’est fait pour construire le pays ; conclusion, du premier ministre : c’est l’échec de la politique économique du gouvernement, un échec collectif et la responsabilité étant collective ». Prenons point par point afin de décoder les messages, largement commentés par les observateurs internationaux où il convient de saluer, de la part d’un responsable algérien pour la première fois, un discours de vérité.
Concernant l’argent mafieux qui commande, il
faut au préalable faire remarquer que dans toutes les élections dans le
monde, l’argent est le poumon mais selon certaines règles, les
candidats étant en majorité compétents, et que l’ensemble des forces
sociales visent le développement de leur pays. C’est le terme de mafieux
appliqué à l’Algérie qui lui donne sa spécificité. Car dans la
majorité des rapports internationaux et mes analyses largement publiées
au niveau local et international, il est mis nettement en relief,
n’ayant pas attendu le diagnostic du premier ministre, cette
corruption socialisée qui menace le devenir du pays. Si elle a toujours
existé, depuis le lancement du programme2004/2009 et cela continue
aujourd’hui avec l’enveloppe programmée de plus de 286 milliards de
dollars entre 2010/2103 dont 130 sont des restes à réaliser des projets
non terminés de 2004/2009, (45% de réévaluation, le cout par exemple de
l’autoroute Est/Ouest ayant doublé par rapport au cout initial, mais
cela concerne la majorité des projets) elle prend une proportion jamais
égalée depuis l’indépendance politique. La majorité des institutions de
contrôle ont été gelées dont le parlement, la court des comptes et sans
véritable contrepoids de la société civile et politique, l’opposition
productive étant marginalisée. Il existe une relation dialectique
entre la logique rentière et la sphère informelle en extension avec des
ramifications extérieures, qui détruit tout esprit d’initiative et donc
l’émergence de tout tissu productif. Cela renvoie à la faiblesse de
l’Etat de droit, cette société anomique analysée par Ibn Khaldoun,
expliquant ce divorce croissant Etat citoyens où aux dernières
élections législatives du 10 mai 2012, un très fort taux de non
participation, environ 65% abstention et bulletins nuls n’ayant fait
aucun choix sans compter que 1 727 159 adultes algériens qui ne
sont pas inscrits sur les listes électorales, selon les données
nouvelles de la population algérienne par l’ONS en janvier de 2011 qui
serait de 37,1 millions habitants, ce qui
donnerait plus de 70%. La sphère informelle est le produit de la
bureaucratie paralysante qui est le véritable pouvoir en Algérie,
favorisant les dysfonctionnements des appareils de l’Etat. On intègre
cette sphère composée de jeunes entreprenants dynamiques par des
mécanismes de régulation clairs, l’économe de marché ne signifiant pas
absence de l’Etat régulateur et donc anarchie, et non pas par des
textes de lois que contredissent quotidiennement les pratiques
sociales. Lorsqu’un Etat veut imposer des lois qui ne correspondent pas à
l’état de la société, celle-ci enfante ses propres lois basées sur la
confiance, existant des relations contractuelles informelles, qui lui
permettent de fonctionner accentuant le dualisme social et économique,
limitant ainsi la politique globale officielle.
Il s’ensuit que selon le premier
ministre on s’oriente vers une implosion sociale sans changement de
politique. Et il a raison. Dans 15ans pour le pétrole, 25 ans pour le
gaz conventionnel tenant compte de la croissance des coûts, du volume
d‘exportation prévu, de la forte consommation intérieure accentuée par
des bas prix et des nouvelles mutations énergétiques mondiales,
l’Algérie sera importatrice au moment où la population sera d’environ 50
millions sans hydrocarbures. Sans avoir préparé l’après hydrocarbures
ce sera effectivement la révolution et un scenario pire que les années
1990. Après 50 années d’indépendance politique, en 2012 l’Algérie est en
plein syndrome hollandais : 98% d’exportation d’hydrocarbures et
important 70/75% des besoins de ménages et des entreprises publiques et
privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%. Alors l’impact
de l’Algérie sera nul au niveau des relations internationales avec des
tensions sociales de plus en plus vives, une déstabilisation politique
avec comme impact une déstabilisation de la région euro méditerranéenne
et arabo africaine qui risque de favoriser l’intervention étrangère,
d’autant plus que la situation explosive au Sahel devrait faire
réfléchir nos responsables. Car, il faut souligner un aspect fondamental
concernant le concept de rente qui n’a pas toujours un aspect négatif.
Les expériences historiques montrent clairement que la rente agricole
éternelle, sous réserve de l’entretien de la terre et son soubassement
l’eau, a permis l’accumulation primitive et le développement du
capitalisme. La rente des hydrocarbures éphémère, comme cela a été le
cas de l’or pour l’Espagne qui a connu un déclin de plusieurs siècles,
aussitôt épuisé de l’Amérique du Sud, peut être également une chance
pour le développement si elle est autonomisée pour les générations
futures comme c’est le cas de la Norvège. Si elle est gaspillée,
irriguant l’ensemble de la vie économique et sociale, elle est par
essence destructrice, comme c’est le cas en Algérie, favorisant le gain
facile, des distributions de revenus sans contreparties productives pour
une paix sociale éphémère. Cela donne l’illusion du développement
avec des taux artificiels de taux de croissance, de taux de chômage bas
(faire et refaire des trottoirs, recrutement dans l’administration) et
de taux d‘inflation que l’on comprime par des subventions désordonnées
et mal ciblées favorisant tant la fuite des produits hors des frontières
que décourageant la production locale. L’importance des réserves de
change souvent évoquées ne sont pas le produit du travail mais une
richesse virtuelle provenant des hydrocarbures dont d’ailleurs plus de
90% sont placées à l’étranger dont 97% de ces 90% en bons de trésor
américains ou en obligations européennes : est-ce au Portugal, en
Hollande, en Grèce, en Italie ou en Espagne pays qui connaissent une
grave crise d’endettement ? A quel taux d’intérêts, tenant compte de
l’inflation mondiale, pouvant donner des rendements très faibles pour
ne pas dire nuls ?
En affirmant qu’il ne suffit pas
de changer de gouvernement pour faire une nouvelle politique , le
premier ministre avoue que le blocage est d’ordre systémique à la fois
politique, social et économique, voire culturel. Nous sommes à
l’ère de la mondialisation où toute nation qui n’avance pas recule
forcément. Le principal défi des gouvernants au XXIème siècle comme j’ai
eu à maintes fois l’occasion de l’affirmer est la maitrise du temps et
une gouvernance renouvelée tant locale que mondiale. La crise mondiale
actuelle sera de longue durée avec d’importants bouleversements
géostratégiques entre 2015/2020 avec des impacts évidents sur la
société algérienne. Il s’ensuit que pour l’Algérie comme facteur
d’adaptation à ce nouveau monde impitoyable, cela suppose un
réaménagement profond des structures du pouvoir qui est assis sur la
rente avec plus de moralité. D’où la nécessité de l’émergence de forces
sociales réformatrices fondées sur la valorisation du savoir richesse
bien plus importante que toutes les richesses d’hydrocarbures et
devant s’inscrire dans l’intégration du Maghreb pont entre l’Europe et
l’Afrique son espace social naturel. Oui Monsieur le premier Ministre,
il ne pouvait en être autrement. C’est effectivement l’échec de la
politique de l’actuel gouvernement au vu de la non proportionnalité
entre la dépense monétaire et les impacts où selon les rapports
internationaux l’Algérie dépense deux fois plus pour avoir deux fois
moins de résultats par rapport à des pays similaires (mauvaises gestion,
corruption). Oui l’échec est collectif puisque la composante
ministérielle n’a pas profondément changé depuis 2000, ministres mus par
l’unique dépense monétaire sans se préoccuper des impacts économiques
et sociaux. Cependant, concernant l’échec de la politique actuelle,
puisque la révision de la constitution a supprimé la fonction de chef de
gouvernement, étant dans un régime présidentiel, l’alliance FLN RND
MSP depuis 2003 ayant affirmé toujours appliquer le programme
présidentiel, les propos du premier ministre selon les analystes
internationaux visent l’échec du programme du président de la
république qu’il a pourtant cautionné. Aussi ce message politique du
premier ministre s’adresse directement au président de la république
pour changer de cap. Car, pourquoi alors continuer à dépenser sans
compter pour paraphraser la directrice générale du FMI commentant la
situation de l’Algérie, et donc dans cette trajectoire suicidaire
pour le pays puisque c’est l’échec ?
Or, les réformes à venir, seront douloureuses notamment
la restructuration du tissu économique délabré, de l’administration et
de la fonction publique, d’où l’urgence d’une profondes moralisation
des personnes chargées de la gestion de la Cité afin de mobiliser la
société pour un sacrifice partagée. Les économistes parleront d’une
symbiose entre l’efficacité économique et une profonde justice sociale
afin de maintenir un minimum de cohésion sociale. Alors statut
quo jusqu’aux élections présidentielles du 08 avril 2014 ou changement
profond promis par le président de la république lors de son discours à
Sétif le 08 mai 2012 , comparant ce changement à celui de 01 novembre
1954.
Dr Abderrahmane MEBTOUL
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire