- El Kadi Ihsan
Deux mois presque jour pour jour après l’incident de Zeralda, le mouvement déclenché par la présidence de la république pour prendre totalement en main le système de sécurité intérieure de l’ANP s’est parachevé ce dimanche 13 septembre avec l’éviction du général Mohamed Mediène, dit Toufik, patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services de renseignement de l’armée) depuis 1990.
C’est une longue séquence de l’organisation du
pouvoir politique en Algérie qui prend symboliquement fin.
Le successeur au général Toufik n’incarne, pour autant, aucun renouveau. Le général Athmane Tartag est même la continuation personnifiée des pires années du DRS, celles où, débordé par l’insurrection islamiste du début des années 1990, il a du recourir à des méthodes de répression extra-judicaires de manière massive pour tenter d’endiguer la montée du terrorisme. Le compromis qui a permis la cohabitation entre le puissant général Toufik de la fin des années de guerre civile et le nouveau président Bouteflika a efficacement fonctionné jusqu’au début du troisième mandat présidentiel en 2009. Depuis il n’a fait que se déliter. Jusqu’à l’assaut final engagé par les frères Bouteflika depuis deux mois.
Le successeur au général Toufik n’incarne, pour autant, aucun renouveau. Le général Athmane Tartag est même la continuation personnifiée des pires années du DRS, celles où, débordé par l’insurrection islamiste du début des années 1990, il a du recourir à des méthodes de répression extra-judicaires de manière massive pour tenter d’endiguer la montée du terrorisme. Le compromis qui a permis la cohabitation entre le puissant général Toufik de la fin des années de guerre civile et le nouveau président Bouteflika a efficacement fonctionné jusqu’au début du troisième mandat présidentiel en 2009. Depuis il n’a fait que se déliter. Jusqu’à l’assaut final engagé par les frères Bouteflika depuis deux mois.
La fusilla de Zeralda, un point de basculement estival
A la fin de nuit du 14 au 15 août 2015, les couches-tard de la ville de Zeralda ont entendu une fusillade qui a duré une trentaine de secondes provenant de la résidence présidentielle de l’autre côté de l’autoroute. Dans les minutes qui ont suivi, deux véhicules 4x4 ont traversé la ville en trombe avant qu’un dispositif de sécurité ne se déploie pendant plus de deux heures sans que les riverains ne puissent comprendre ce qui se passait.
Plus d’un mois plus tard, les remontées
d’information demeurent contradictoires sur cette fusillade. La version
initiale d’une « tentative d’incursion terroriste déjouée » a vite été
submergée par d’autres « récits ». Le plus persistant est celui d’un
échange de coups de feu entre éléments des services sécurité eux-mêmes.
Plusieurs sources concordantes ont fait état la semaine suivante de
l’hospitalisation, pour blessure par balles, d’un élément de la sécurité
présidentielle à l’hôpital militaire de Aïn Naadja. Le récit le plus
alarmant a évoqué la présence de Saïd Bouteflika sur les lieux de la
fusillade. Rien ne permet de le soutenir. Ce sont finalement les
décisions qui vont suivre qui alerteront sur le caractère « sérieux » de
l’incident de Zeralda.
Le système de sécurité intérieure de l’armée
algérienne a été décapité par ondes concentriques: sécurité
présidentielle, garde républicaine, direction de la sécurité intérieure
du DRS, GIS… L’amplitude des changements, sans précédent, a rendu
relativement accessoire le contenu de l’incident de Zeralda. Il existe
même des sources proches du DRS pour insinuer qu’il s’agit d’un incident
artificiel dans le seul but de déclencher la purge qui s’en est suivie.
La suite des développements pourrait presque l’agréer avec les deux
actes : l’arrestation du général Hassan, proche du général Toufik, puis
l’éviction, aujourd’hui, du grand patron du DRS lui-même. Le mouvement
correspond clairement à une prise en main directe et complète par la
présidence de la république (Saïd Bouteflika), et par l’état-major de
l’ANP (Ahmed Gaïd Salah), de la chaîne de commandement du système de
sécurité intérieure de l’armée.
Bouteflika ne veut plus que des « fidèles » autour de lui
Abdelaziz Bouteflika connaît le mode opératoire des putschs. Il a été un putschiste très actif en juin 1965. Après Zeralda, il s’est prémuni contre un scénario de conjuration qui n’existe probablement pas plus qu’à la fin de l’année 2013 lorsque, malade et impotent, il a imposé sa « candidature » pour un 4e mandat en avril 2014. Il est bien possible que dans l’entourage du président - son frère Saïd en priorité -, le scénario d’une « menace diffuse » ait été gonflé. Le général Toufik, réservé sur le 4emandat, n’est pas devenu plus « dangereux » pour le mandat du président Bouteflika. Entamé en janvier 2013 avec la prise d’otage de Tiguentourine (extrême Sud) par un groupe djihadiste, l’affaiblissement des services de sécurité militaires (DRS) qu’il dirigeait depuis bientôt 25 ans s’est accéléré depuis le début du 4e mandat.
Le profil de Mohamed Mediène n’est pas celui
d’un aventurier qui aurait pu prendre la tête d’une conjuration pour
faire appliquer, par exemple, l’article 88 dans une sorte de « coup
d’état médical ». Pourquoi alors le clan Bouteflika a-t-il brusquement
décidé de changer son périmètre de sécurité et réduit les moyens
d’intervention directe du DRS avant d’en décapiter la direction ? Il est
difficile d’épiloguer à chaud sur cette évolution. C’est, en réalité,
la perception qu’a le président Bouteflika de la situation qui est
déterminante dans un tel cas.
Tous ceux qui ont fréquenté Abdelaziz
Bouteflika évoquent sa paranoïa ordinaire. Après son premier séjour au
Val- de-Grâce à partir de novembre 2005, il a appris, à son retour, que
Larbi Belkheir, ambassadeur au Maroc, avait eu des consultations avec le
général Lamari (alors déjà à la retraite) au sujet de l’avenir de la
fonction présidentielle. Larbi Belkheir a été mis en quarantaine avant
d’être disgracié et l’état-major de l’ANP a été réorganisé en fonction
de ce paramètre de la loyauté au président. Dans le contexte plus récent
de sa maladie, de la quasi- disparition de sa capacité à se faire
directement une opinion sur les dossiers et les acteurs, cette paranoïa
ne pouvait que s’aiguiser. Chaque « péripétie » de l’actualité nationale
l’aggrave depuis le début du 4emandat : la résistance de In
Salah et du Sud à l’exploitation du gaz de schiste, les affrontements
interminables dans la vallée du M’zab, la montée d’un danger terroriste
« alternatif » à AQMI (l’assassinat du Français Hervé Gourdel,
l’embuscade de Aïn Defla contre des militaires...)...
La nouvelle conjoncture financière du pays est
venue donner une dimension épidermique à la défiance présidentielle.
L’effondrement du prix du pétrole ne peut, bien sûr, pas être attribué à
un complot de la CNLCD ou de l’intérieur du système (DRS), mais il
donne à la fin de règne de Bouteflika un décor de tour assiégée, propice
aux intrigues les plus renversantes. Les appels incessants d’une partie
de l’opposition à l’application de l’article 88 de la Constitution -
qui définit prononce les conditions algériennes de « l’empêchement » -
ont alimenté la paranoïa présidentielle. A qui sont, de manière
subliminale, adressés ces appels ? Au DRS, bien sûr, supposé être
toujours le dépositaire opérationnel de la prééminence historique de
l’armée sur la vie politique algérienne.
Sans Toufik, Ahmed Gaïd Salah s’expose à la paranoïa présidentielle
Le président Bouteflika pouvait, dès le lendemain de sa réélection en avril 2014, inviter le général Toufik à faire valoir ses droits à la retraite. Il a choisi, culture tactique de son obédience clanique, de maintenir l’incarnation symbolique des services en le vidant de ses prérogatives, jadis pesantes. Principale fonction du maintien du chef emblématique du DRS : faire contrepoids à l’influence grandissante du général Ahmed Gaïd Salah dans la décision politique. Ce que la fusillade de Zeralda a révélé est que le clan Bouteflika ne se sentait pas tout à fait en sécurité dans son traitement « tactique » du DRS. Il est donc allé plus loin dans son désarmement, choisissant même de renforcer l’autorité de Ahmed Gaïd Salah au sein de l’ANP en lui apportant un DRS démembré sous sa coupe. L’été 2015 est celui de la fin de l’ANP bicéphale, héritage de l’hypertrophie du DRS durant les années 1990 et du déclin de l’état-major après le départ du général Mohamed Lamari en 2004.
La nouvelle problématique pour le président
Bouteflika et son frère est, sur ce front du contrôle des forces de
sécurité, de se prémunir désormais d’un face-à-face délicat avec le
général Ahmed Gaïd Salah. Le chef d’état-major a beau ne pas être le
leader naturel de l’ANP aux yeux de la majorité de ses chefs de régions
militaires, il est persuadé de sa bonne étoile. Il évoque même, en
privé, pour lui un destin de présidentiable, « comme le général Zéroual,
un collègue », en cas de disparition du président Bouteflika. En un
mot, il a le potentiel pour devenir rapidement l’objet de la paranoïa
présidentielle dans les prochains mois. C’est pour cela que le cycle
déclenché en juillet dernier n’est peut être pas tout à fait terminé.
Ahmed Gaïd Salah est aujourd’hui plus précaire qu’il ne l’était lorsque
le clan présidentiel avait besoin de lui pour faire le rouleau
compresseur contre le DRS.
Et maintenant qui va décider du prochain président de l’Algérie ?
Et maintenant qui va décider du prochain président de l’Algérie ?
Le comportement du président Bouteflika évoque
bien sur beaucoup celui du président Habib Bourguiba au milieu des
années 80. Malade comme Bouteflika, relié à l’extérieur par les
comptes-rendus de ses proches, le raïs tunisien a fait face à
une crise sociale en 2004 qui, combinée au déclin de son sens du
discernement, a aggravé sa paranoïa. Il a failli faire exécuter Rached
Ghannouchi, le leader islamiste, a vidé le Palais de Carthage de la
plupart de ses vieux conseillers, a confié les clés politiques du pays à
sa nièce Saïda au détriment de son fils et a limogé trois Premiers
ministres en deux ans. Habib Bourguiba n’a jamais pensé, durant cette
longue agonie politique, organiser sa succession à son avantage.
Abdelaziz Bouteflika est sur le même sentier. Pis, ou mieux encore,
c’est selon le point de vue d’où l’on se place, le président algérien ne
veut pas laisser derrière lui une capacité homogène de décision
politique à la tête de l’armée. Le général Zeroual a remis les clés de
la maison à ses pairs qui ont, conseillés en cela par un aîné, le
général Belkheir, opté pour le retour de Bouteflika. Entre un état-major
contesté, des chefs d’armes en retrait, un DRS faible, l’après-
Bouteflika n’offre plus la même ligne de décision politique. Le moule à
faire des présidents n’est peut- être pas définitivement cassé mais il
est momentanément hors service. Cela ne garantit pas à Saïd Bouteflika
de pouvoir décider de manière pesante de l’avenir après son frère.
Du point de vue du retour de la parole au
suffrage du peuple algérien, le scénario qui s’est déroulé cet été entre
Zeralda et Beni Messous n’est pas une mauvaise nouvelle démocratique.
Un bémol tout de même. La perpétuation de la paranoïa bourguibienne ne
s’est pas terminée par une transition démocratique en Tunisie mais par
le début d’un nouveau cycle autocratique.
Maghreb Emergeant.
Maghreb Emergeant.
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