39 harraga algériens capturés en octobre 2008 par la marine tunisienne puis détenus par la police n’ont plus donné signe de vie plus de trois ans après leur capture. Détenus un moment dans des prisons tunisiennes, leurs traces ont été perdues. Sont-ils toujours en Tunisie ? Ont-ils été tués ? Ont-ils été livrés à la CIA qui les maintiendrait dans des prisons secrètes ? Le Département d'Etat dément et les avocats des familles lancent une enquête pour retrouver leurs traces.
Ils ont voulu se rendre clandestinement en Italie, ils se sont retrouvés dans des prisons tunisiennes. Ou peut-être dans des prisons secrètes américaines quelque part au Maroc, au Yémen ou en Egypte.
Plus de trois ans après que 39 clandestins algériens aient été capturés au large des côtes tunisiennes, leurs familles demeurent sans nouvelles d’eux.
Le 8 octobre 2008, 39 jeunes Algériens, trois Tunisiens et un Marocain partis d'Annaba pour tenter de gagner clandestinement l'Italie se sont échoués sur les côtes tunisiennes près de Tabarka, à environ 150 km à l'est de leur point de départ.
Arrêtés par les gardes-côtes
Leurs familles qui se sont rendues en Tunisie en juillet 2011, sept mois après la chute du président Ben Ali, affirment que les autorités tunisiennes leur ont assuré, dès les premiers jours, qu’ « ils allaient bien, qu’ils ont été arrêtés en mer par la garde maritime pour enquête et qu’ils allaient être relâchés dans les plus brefs délais ».
« Mon fils m’a appelé et m’a dit qu’ils avaient été arrêtés par la garde maritime tunisienne», témoignait à l'époque Abdelnasser Chemami, père d’un des jeunes Algériens.
Les autorités tunisiennes avaient promis aux familles que leurs enfants allaient être bientôt libérés.
Plus de trois ans après, les candidats à l’immigration, âgés entre 16 et 22 ans, sont toujours portés disparus.
Où sont-ils ?
Aucun responsable du nouveau gouvernement tunisien n’est en mesure de donner une réponse à cette question.
C’est la militante tunisienne des droits de l’homme, Sihem Bensedrine qui a séjourné récemment en Algérie qui livre une nouvelle piste : les prisonniers auraient été transférés dans des centres de détentions secrètes américains.
Samedi 11 février, lors d’un séminaire sur le thème de la recherche de la vérité et la lutte contre l’impunité organisé à Alger, Sihem Bensedrine affirme que l’observatoire tunisien des droits de l’homme avait retrouvé des preuves de leur détention en Tunisie.
« Cette affaire concerne plus de 20 jeunes algériens et trois tunisiens disparus depuis 2008. Le chiffre concerne uniquement les familles qui ont pris contact avec nous. Au début, nous avons réussi à avoir des preuves sur leur emprisonnement en Tunisie au niveau du ministère de l’Intérieur où ils ont été interrogés à l’époque. Ensuite, il y a eu un revirement de la part du ministère tunisien de l’Intérieur qui a nié toute implication dans cette affaire », révèle-t-elle.
« Cette affaire concerne plus de 20 jeunes algériens et trois tunisiens disparus depuis 2008. Le chiffre concerne uniquement les familles qui ont pris contact avec nous. Au début, nous avons réussi à avoir des preuves sur leur emprisonnement en Tunisie au niveau du ministère de l’Intérieur où ils ont été interrogés à l’époque. Ensuite, il y a eu un revirement de la part du ministère tunisien de l’Intérieur qui a nié toute implication dans cette affaire », révèle-t-elle.
Centres de détentions secrètes US
M. Bensedrine ajoute que ces jeunes sont aujourd’hui introuvables sur le territoire tunisien.
« En Tunisie, il n’y a pas de prisons secrètes. Je pense que les jeunes en question sont transférés dans des centres de détentions américains qui se trouvent soit au Yémen, en Egypte ou au Maroc », ajoute-t-elle.
Le redoutable ministre de l’Intérieur, dirigé à l’époque par Rafik Belhaj Kacem, (aujourd’hui inculpé d’homicide volontaire pour avoir donné l’ordre de tirer sur les manifestations à Kasserine et Thala en 2010 ) aurait-il été sous-traité ces prisonniers pour le compte des autorités américaines ?
Accusés de terrorisme
Sihem Bensedrine précise que les jeunes harraga étaient poursuivis pour terrorisme. « Ils (ces jeunes) voulaient partir en Italie. Mais les gardes côtes tunisiens les ont interceptés. Il y a eu par la suite un échange de tirs entre les gardes côtes et eux. Ils sont accusés de terrorisme », indique-t-elle.
Des harraga âgés entre 16 et 22, à bord d’un chalutier en partance vers l’Italie, seraient-ils en possession d'armes à même de riposter aux gardes-côtes tunisiens ?
Si l’hypothèse parait invraisemblable, il faut croire que la police de Ben Ali était en mesure de fabriquer toutes sortes de preuves possibles et inimaginables pour mouiller les opposants politiques et les prisonniers de droit commun.
Les prisons secrètes de la CIA, également dénommées black sites ou « sites noirs », désignent ces prisons clandestines contrôlées par l'agence américaine dans divers pays à travers le monde.
Leur existence a été révélée à la fin 2005 par le quotidien américain The Washington Post et officiellement reconnue par le président George W. Bush le 6 septembre 2006.
Démenti américain
Alors ces disparus sont-ils entre les mains des Américains quelque part au Maroc, au Yémen ou en Egyte comme le laisse entendre Mme Bensedrine ?
DNA a interrogé par courriel le Département d’Etat américain, via l’ambassade US à Alger. Après deux jours d’attente, la réponse nous est parvenue par mail : accusations farfelues, explique-t-on
« L'ambassade n'a pas de preuves qu'un tel incident a eu lieu, affirme à DNA le porte-parole de la représentation américaine en Algérie. Le gouvernement américain est un ardent défenseur des droits de l'homme au niveau international et estime que ces droits sont inhérents à tous les êtres humains, sans distinction aucune, notamment de nationalité, de lieu de résidence, de sexe, d'origine nationale ou ethnique, de couleur, de religion, de langue ou de toute autre statut. »
La ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) reste prudente. Son représentant à Annaba, wilaya dont sont originaires tous ces harraga, Me Kociela Zerguine ne confirme pas la thèse de leur éventuel transfert ans des prisons secrètes américaines.
« Pour le moment, on ne peut être sûr de rien. L’essentiel, c’est que ces jeunes sont aujourd’hui des victimes de disparition forcée », assure l’avocat à DNA.
Demande d'udience au président tunisien
Me Kociela Zerguine affirme avoir saisi par écrit le président tunisien Moncef Merzouki pour lui demander de faire la lumière sur cette affaire. « Je vais aussi lui demander audience », assure-t-il, précisant qu’il difficile d’avoir des statistiques exactes sur le nombre de personnes concernés par ces disparitions.
Me Zerguine admet par ailleurs que d’autres démarches ont été entreprises pour soutenir les familles de ces jeunes.
« Nous allons, avec l’aide d’une ONG, mettre en place un observatoire d’aide aux familles des disparus. Nous allons également exiger une requalification des faits ; ils ne sont plus des harraga, mais des victimes de disparitions forcées », dit-il.
Une chose est certaine : ces jeunes se trouvaient entre les mains de la police tunisienne en octobre 2008 avant de se volatiliser.
Lire l'article original : Capturés en 2008 par la police puis disparus : 39 harraga algériens livrés à la CIA par Ben Ali ? | DNA - Dernières nouvelles d'Algérie
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